allait à travers la ville comme le voyageur à travers les forêts vierges de l'Amérique, écoutant avec ravissement les douces harmonies de la nature, admirant les merveilles de cette vigoureuse et féconde végétation, s'oubliant, enfin, dans la contemplation de sublimes beautés que l'art ne peut égaler.
Marga?t ne se doutait pas même des amères douleurs qui peuvent faire la vie triste et désespérée, et elle buvait sans crainte à la coupe d'or des joies terrestres dans laquelle, jusqu'alors, aucune larme n'était encore tombée de ses beaux yeux!
Depuis quelque temps cependant Marga?t grandissait à vue d'oeil, ses formes se développaient avec grace, ses épaules s'arrondissaient comme sous l'amoureux ciseau d'un sculpteur invisible, une flamme discrète brillait sous ses paupières brunies.
La pauvre enfant ne comprenait pas bien encore ce qui se passait dans son coeur; elle s'étonnait na?vement de ces changements merveilleux, et s'effrayait même quelquefois, en admirant le triple diadème de jeunesse, de grace et de candeur dont la nature couronnait son beau front.
Le vieux Tanneguy et sa fille marchèrent ainsi pendant une heure environ, le premier, saluant de la voix et du geste les paysans que l'aube matinale appelait aux champs, la seconde, envoyant un bonjour et un sourire aux jeunes filles du bourg qui partaient pour le marché. -- Toutefois, il est bon de remarquer que ces échanges de politesse empruntaient, de la part des passants, un caractère particulier de contrainte et de froideur; mais le père Tanneguy n'y prit point garde... Peu à peu, la route devint plus solitaire; ils ne rencontrèrent, à de longs intervalles, que quelques voyageurs isolés, dont le visage leur était inconnu, et quand le soleil s'éleva à l'horizon, ils se trouvèrent seuls, à un endroit où la route se bifurque tout d'un coup.
Il y a, en cet endroit deux chemins qui conduisent par des détours différents, à un même but. L'un, plus roide et plus rocailleux, offre au voyageur les sites pittoresques, mais nus et désolés de la c?te; l'autre, qui n'est qu'un petit sentier creux, descend par une pente insensible jusqu'à la mer.
Le vieux Tanneguy se tourna alors vers sa fille, et lisant d'avance dans ses yeux:
-- Marga?t, lui dit-il, avec un tendre et paternel sourire, quel chemin prendrons-nous aujourd'hui?...
Marga?t battit des mains sans répondre, frappa la terre de ses petits pieds impatients, et s'élan?a en poussant un doux cri de joie vers le chemin creux.
Le vieux Breton la regarda un moment s'enfoncer et dispara?tre dans le sentier plein d'ombre, puis, ayant secoué sur son pouce la cendre de sa pipe éteinte, il serra le peu-bas qu'il tenait à la main, et pressa le pas pour rejoindre sa fille.
Le soleil s'était levé, et sa vive lumière semblait tomber en pluie d'or, à travers les branches d'arbres qui s'arrondissaient en berceau au-dessus du sentier: les oiseaux cachés sous les feuilles vertes saluaient les premières splendeurs du printemps; et les deux ruisseaux qui c?toient le sentier, passaient en chantant, sous les fleurs embaumées de leurs rives!
La nature a un langage inconnu et mélodieux qui remue profondément le coeur et fait doucement rêver.
Le vieux Tanneguy sentit une singulière tristesse s'emparer de son esprit, et il laissa sa pensée s'envoler un moment vers les mondes infinis de l'imagination.
Quant à Marga?t, elle était déjà loin!...
Elle avait détaché le chapeau de paille aux larges bords, par lequel elle avait remplacé ce jour-là la coiffe traditionnelle des filles de Bretagne; ses longs cheveux flottaient au vent sur ses épaules, et la blonde enfant courait devant elle, avec un fol enivrement.
De temps en temps seulement, quand après avoir arraché aux revers du chemin, bon nombre de fleurs bleues et jaunes, elle se retournait tout à coup, et n'apercevait plus derrière elle la silhouette aimée du vieux Tanneguy, elle remontait en courant la pente qu'elle venait de descendre et s'empressait de reprendre, pour un moment, sa place accoutumée auprès de son père.
Ce n'est pas que Marga?t e?t peur de se trouver ainsi seule au milieu du sentier; Marga?t n'avait peur que des farfadets et des sorcières, et elle savait bien que les sorcières et les farfadets ne battent pas la campagne pendant le jour. Mais Marga?t aimait son père, et quand les papillons, la brise ou les fleurs ne lui inspiraient plus de graves distractions, son coeur tout entier revenait à son père bien-aimé!
C'était une noble enfant que Marguerite, et le vieux Tanneguy n'ignorait pas quel pur trésor Dieu lui avait envoyé!...
Dans un de ces moments, où emportée loin de son père, par l'élan de sa course, la blonde enfant ne songeait plus qu'à pourchasser les papillons et les vertes demoiselles, elle atteignit un endroit solitaire où la route se dégage tout à coup des petites haies vives qui jusque-là masquent l'horizon et permet au regard de planer au loin sur les vastes grèves de l'Océan.
Soit que Marguerite se sent?t touchée de
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