Enfances célèbres | Page 5

Louise Colet
aux argumentations du docteur. Quand leur examen fut fini, et que son tour arriva, Pic leva les yeux avec assurance sur le docteur Lulle qui l'interrogeait, mais, dans ce mouvement, son regard se porta vers une des tribunes publiques, et il fut près de laisser échapper un cri en reconnaissant sa mère au milieu de la foule, sa mère qui avait deviné, puis arraché la vérité à Fra Rinaldo sur l'absence de son fils, et qui était accourue à Modène pour mourir avec lui, s'il était reconnu par leur ennemi. Le jeune savant comprima l'émotion qui l'avait saisi, et il répondit avec une éloquence entra?nante à tous les points de science posés par le docteur. Celui-ci, étonné d'une pareille supériorité, tachait de prendre en défaut cette haute intelligence; mais il multiplia vainement les subtilités de la scolastique; l'enfant semblait s'y jouer, et Lulle, enfin entra?né lui-même par l'enthousiasme de l'assemblée, le déclara digne de la récompense promise à celui des six candidats qui soutiendrait sa thèse avec le plus d'éclat.
[Illustration: La Mirandole soutenant une thèse.]
Jean, conduit par le docteur, s'avan?ait vers les gradins où étaient assis les magistrats et les princes, quand tout à coup une voix s'éleva: c'était celle du seigneur Bonacossi, de l'ennemi de sa famille. ?Le nom! demandez le nom de cet enfant!? criait-il au podestat de Modène; car son regard haineux venait de reconna?tre le fils du comte de La Mirandole. A ces paroles qu'elle a comprises, la mère, pleine d'effroi, fend la foule et s'élance auprès de son fils; elle l'entoure de ses bras, comme pour le défendre de tout danger. Mais l'enfant intrépide se dégage de son étreinte, et, se pla?ant devant le podestat, il lui dit d'une voix forte: ?Je me nomme Jean Pic de La Mirandole, fils du seigneur de La Mirandole, comte de Concordia; je sais que ma famille est proscrite et que nul de nous ne peut rentrer dans ces murs. Je vous livre ma tête, seigneur Bonacossi; mais je vous demande à vous, podestat de Modène, la récompense qui m'est due. Vous le savez, le choix de cette récompense m'est laissé. Eh bien! accordez-moi la grace de ma famille, rendez à mon père ses biens, ses honneurs et sa patrie; puis faites-moi mourir, si vous trouvez cela juste!?
Mille voix s'élevèrent pour l'applaudir; tous les coeurs étaient attendris, des larmes coulaient de tous les yeux, toutes les mains battaient; le podestat lui-même, ému comme les autres, embrassa le merveilleux enfant et lui accorda sa grace avec celle de sa famille. Bonacossi fut contraint de restituer au comte de La Mirandole les domaines de ses ancêtres, et cet héritage, perdu par les armes, fut reconquis par l'éloquence de la parole.
Pic de La Mirandole devint l'homme le plus savant de son siècle; il voyagea dans toute l'Europe; les universités les plus célèbres furent pleines de son nom: celle de Paris lui accorda de grands honneurs, et le roi de France Charles VIII l'appela son ami.

LES PREMIERS EXPLOITS D'UN GRAND CAPITAINE
NOTICE SUR BERTRAND DU GUESCLIN.
Bertrand du Guesclin, connétable de France, naquit en Bretagne dans le chateau de Motte-Broon, près de Rennes, en 1314. C'était un enfant intraitable: les menaces et les chatiments le rendirent plus farouche encore. Il était presque difforme; il avait la taille épaisse, les épaules larges, la tête monstrueuse, les yeux petits, mais pleins de feu: ?Je suis fort laid, disait-il, jamais je ne serai bienvenu des dames, mais je pourrai me faire craindre des ennemis de mon roi.?
A l'age de seize ans, il s'échappa de la maison paternelle; il se réfugia à Rennes, et se réconcilia quelques mois après avec son père par ses brillants faits d'armes dans un tournoi. C'est cet épisode de sa vie, raconté par les mémoires contemporains, que nous avons dramatisé. Depuis cette époque, Bertrand ne cessa de porter les armes et de s'illustrer; il servit d'abord Charles de Blois dans la guerre de ce prétendant contre Jean de Montfort, ce qui lui aliéna l'amitié de ses compatriotes et le contraignit de passer dans l'armée de Charles V. Il battit peu après le roi de Navarre à Cocherel, et fut lui-même vaincu et fait prisonnier, la même année, par l'Anglais Chandos, à Auray. Rendu à la liberté, il conduisit en Espagne les grandes compagnies qui infestaient la France, et ran?onna le pape à Avignon pour solder ses troupes. D'abord vaincu par le prince Noir, prince de Galles et fils d'édouard III, roi d'Angleterre, il revint en Espagne après une courte captivité à Bordeaux, défit Pierre le Cruel, roi de Castille, et donna le tr?ne à Henri de Transtamare.
Nommé connétable de France en 1349, il chassa les Anglais de la Normandie, de la Guienne et du Poitou, et mourut au siège de Chateau-Randon. Voyant approcher la mort, il prit dans ses mains victorieuses l'épée de connétable,
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