aéronautes, qui malgré leurs modestes ressources, construisaient de temps en temps des ballons, personne ne se serait préoccupé de cette grave et importante question de la navigation dans l'air; l'aérostat passait peu à peu à l'état de bric-à-brac, et nos fils en eussent parlé un jour comme du feu grégeois ou de l'émail italien.
Voilà jusqu'où était tombée l'aéronautique sous le second Empire. Le gouvernement ne voulait rien faire pour encourager les études aériennes; ici comme ailleurs, l'initiative privée, quand elle avait l'audace de se montrer, était vite écrasée sous les obstacles qu'on ne manquait pas de lui opposer. Une des plus grandes découvertes de notre génie scientifique allait peut-être s'éteindre dans la France même; on aurait laissé à des étrangers le soin de faire cro?tre ce germe que les Montgolfier avaient semé sur le champ des découvertes.
Il a fallu que les Prussiens viennent nous écraser, nous faire sortir de notre torpeur; il a fallu que la première métropole du monde soit investie, cernée, bloquée par les innombrables légions des barbares modernes, pour que l'on s'aper?oive enfin que les ballons valent bien la peine d'être gonflés! Après les immenses services qu'ils ont rendus à la patrie, est-il permis de croire qu'ils ne seront plus délaissés d'une fa?on vraiment coupable? Est-il permis d'espérer que le gouvernement protégera sérieusement les études aériennes, que nos sociétés savantes s'en préoccuperont d'une manière efficace?
On ne manquera pas de trouver dans cet ordre d'idées de nombreux prosélytes; la navigation aérienne a toujours eu le privilège d'émouvoir et d'intéresser le public. Ce ne sont pas les hommes de bonne volonté qui feront défaut pour un tel genre d'investigation, car, comme nous le disait avec esprit un des plus illustres savants de l'Angleterre: ?Le Fran?ais est essentiellement aéronaute; son caractère aventureux, un peu volage, est bien fait pour cet art merveilleux, où l'imprévu joue un si grand r?le.?
En effet, les questions aérostatiques ont toujours eu en France le privilège de passionner le peuple, et ce fait offre une importance réelle, car il y a, au-dessus des appréciations de la science, au-dessus de l'avis des hommes du métier, il y a quelque chose d'indéfinissable qu'on appelle l'opinion publique. Rarement elle s'égare dans les jugements qu'elle porte instinctivement sur les problèmes de ce genre, et nul ne peut nier qu'elle n'accorde aux ballons une large part d'admiration. Le peuple, le public, si vous voulez, aime les ballons, comme il admire une oeuvre d'art, comme il écoute un opéra des ma?tres; dans un musée, sans être peintre, le public marque du doigt le chef-d'oeuvre; sans être écrivain, il trouve le bon livre; sans être savant, il sait flairer les grandes découvertes dans les choses de la science. Malgré les hommes spéciaux qui dénigrent à sa naissance le gaz de l'éclairage, il accourt aux expériences de Philippe Lebon, et les impose à l'administration; il applaudit à l'apparition des chemins de fer, en dépit des savants qui les dénigrent. Or, nous le répétons, il aime les aérostats, il PRESSENT qu'il y a là un inconnu plein de mystère, mais plein d'espérance, il CROIT à la navigation aérienne. L'avenir donnera raison à l'intuition populaire, à ce que l'auteur latin appelle ?vox populi.?
Que de progrès à rêver; que de perfectionnements à entrevoir dans l'aéronautique comme dans toutes les branches du savoir humain! Mais la science est un sol qui, quoique fertile, ne donne une ample moisson qu'à ceux qui la cultivent avec acharnement. Et combien la culture a été négligée depuis vingt ans! Mais pour notre malheur, ce n'est pas seulement l'art des Montgolfier qu'on a laissé dépérir dans une criminelle négligence. Il faut avouer et reconna?tre que toutes les sciences ont subi chez nous une trop visible déchéance; aussi quand l'heure du péril a sonné, les hommes supérieurs ont manqué pour recourir aux immenses ressources de la nation.
Le 4 septembre 1870, après un nouveau Waterloo, on espérait un autre 1792! Mais on oubliait que vers la fin du siècle dernier, la Convention, en décrétant la levée en masse pour résister à l'ouragan décha?né sur nos frontières, avait entre les mains un pays riche en génies illustres, tellement fertile en intelligences, qu'il marchait dans le monde à la tête des sciences et de la philosophie! A cette époque mémorable, en même temps que Carnot organise la victoire, les savants créent toute une industrie nouvelle. Quand il s'agit de faire de la poudre sans le soufre de Sicile, sans le salpêtre de l'Amérique, des inventeurs se lèvent à l'appel du pays; ils ont du soufre qu'ils viennent d'extraire des pyrites, ils produisent du salpêtre, dont ils ont trouvé les éléments dans les vieilles murailles, dans la poussière des écuries. Nicolas Leblanc jette les bases de la fabrication de la soude artificielle, Chappe crée le télégraphe aérien qui, en quelques minutes, envoie des ordres aux armées. L'industrie, privée
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