En Kabylie | Page 9

J. Vilbort
paysan berb��re ne pratique gu��re jusqu'�� pr��sent l'art des prairies artificielles; d'ailleurs, o�� ce n'est pas la terre, c'est souvent l'eau qui manque. Aussi, l'hiver, n'a-t-il presque �� offrir �� ses boeufs et �� ses ch��vres que des feuilles de fr��ne; et ces bons animaux, qui font partie de sa famille et ont leur place �� son foyer, s'en contentent en voyant leur ma?tre mordre dans une dure galette de glands doux.
--Il fut un temps, dis-je, o�� la population de ces montagnes, hommes et troupeaux, n'en ��tait pas r��duite �� d'aussi mis��rables aliments. Ils vivaient grassement dans l'immense plaine que domine le massif djurjurien*. Leurs anc��tres, les Sanhadja, Berb��res de l'Ouest, poss��daient toute la province d'Alger, et les K��tama, Berb��res de l'Est, la province de Constantine; au midi, les uns et les autres promenaient leurs tentes par del�� S��tif et Aumale, jusqu'aux oasis des Ziban, o�� l'on retrouve, au pied des palmiers, les rejetons de cette souche aborig��ne. Par qui ces premiers occupants de la terre africaine furent-ils refoul��s dans leurs apres rochers? �� quelle ��poque renonc��rent-ils �� leurs habitudes nomades, rempla?ant les tentes en poil de ch��vre ou de chameau par des murs de pierre recouverts de tuiles rouges? quel ennemi les contraignit �� aller vivre dans la r��gion des sapins et des neiges, au bord des ab?mes et sur des pics inaccessibles? C'est un myst��re que garde le pass�� et sur lequel la tradition demeure muette comme l'histoire. Il est vraisemblable que beaucoup de Berb��res de la plaine se r��fugi��rent dans le Djurjura pendant les deux invasions arabes (septi��me et onzi��me si��cles). Mais d��j�� �� l'��poque romaine, les rochers de la grande Kabylie ��taient habit��s par les Quinquegentiani (les hommes des cinq tribus) [Berbrugger, _les ��poques militaires de la grande Kabylie_.], les _Tindenses,_ les _Massinissenses,_ les _Isaflenses,_ les Jubaleni et les Jesaleni. Ne reconna?t-on pas dans les Isaflenses les Ifflissen ou les Flisset d'�� pr��sent, tribus nombreuses et guerri��res de la Kabylie occidentale? Les Jubaleni ��taient les montagnards par excellence, que la g��ographie ancienne place sur les plus hautes cimes du Djurjura. Vingt-cinq ans avant J��sus-Christ, Rome leur faisait d��j�� la guerre, et les ma?tres de l'univers ne purent jamais r��duire �� l'ob��issance cette poign��e d'hommes. Encore deux jours, et nous irons demander l'hospitalit�� �� leurs petits-fils, les Zouaoua, dans ce chaos entre terre et ciel dont l'apret�� rebutait les g��n��raux romains, notamment le comte Th��odose, et que l'historien arabe Ebn-Khaldoun repr��sentait, au quatorzi��me si��cle, comme un ensemble de ?pr��cipices form��s par des montagnes tellement ��lev��es que la vue en est ��blouie, et tellement bois��es qu'un voyageur ne pourrait jamais y trouver son chemin.? Quant aux Berb��res eux-m��mes, il les d��peignait comme un peuple ?puissant, redoutable, brave et nombreux.? Il leur attribuait les vertus qui honorent le plus l'humanit��: la noblesse d'ame, la haine de l'oppression, la bravoure, la fid��lit�� aux promesses, la bont�� pour les malheureux, le respect envers les vieillards, l'hospitalit��, la charit��, la constance dans l'adversit��. Quel plaisir nous aurons �� nous ��garer dans ce labyrinthe de rochers sauvages, et �� toucher du doigt ?ces peuples tr��s-f��roces, ?_ferocissimos populos_?, du pan��gyrique de Maximien, ?qui se fiaient aux inaccessibles hauteurs de leurs montagnes et aux fortifications naturelles de leur territoire! Inaccessis montium jugis et naturali munitione fidentes.?
Madame Elvire bailla ��loquemment, et tandis que M. Jules tournait vers elle un regard constern��, le Philosophe s'��cria:
--Ce plaisir-l�� et tous les plaisirs du monde, je les donnerais en ce moment pour un beefsteak aux pommes de terre!
Je n'en fus pas du tout mortifi��. Je n'avais ��tal�� cette science d'emprunt que pour tromper ma faim et celle des autres. Nos estomacs, un instant endormis par la cro?te cass��e �� l'Alma, se r��veillaient en pleine r��volte. Il ��tait une heure apr��s-midi et nous n'avions pas d��jeun��!
--Mais, dit le Caporal, j'ai deux saucissons, moi, un de Lyon et un d'Arles.
Le G��n��ral sourit.
--Faites-en quatre parts, dit le Conscrit: �� la guerre comme �� la guerre!
--C'est qu'ils sont avec mon revolver, au fond de ma malle.
Madame Elvire haussa l��g��rement les ��paules, et M. Jules, d��sol��, s'enfon?a plus avant dans son coin. Mais tout �� coup, jet�� hors de son r?le passif par la fringale, le Conscrit mit la main sur les r��nes des chevaux:
--Arr��tez, postillon!
--Pourquoi donc?
--Il me faut la malle de monsieur.
--D��faire toute la diligence... impossible! je m��ne la poste; d'ailleurs, nous arrivons.
Le caravans��rail des Issers nous apparut sur un monticule. Les angles de ses murs blancs se dessinaient en lignes nettes sur l'azur. On voyait pr��s de la porte un mendiant arabe accroupi, et un peu plus loin un officier fran?ais �� cheval qu'escortaient deux spahis au manteau rouge. On distinguait des pigeons sur le toit.
--Regardez ce nuage bleu, dit joyeusement madame Elvire: c'est notre d��jeuner qui fume.
--H��las! exclama M. Jules, nous en sommes encore �� huit kilom��tres!
Il disait vrai: du haut des
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