Discours sur la nécessité et les moyens | Page 5

M. de Ladebat
de leurs débauches. Les crimes que les besoins entra?nent achèvent de les dépraver. L'esclave ne conno?t que ce genre d'affranchi; et c'est avec cette classe avilie qu'il se confondroit. Il n'y auroit plus alors de s?reté dans nos colonies, et leurs richesses seroient bient?t anéanties. Ce n'est pas la conservation de ces richesses qui m'arrête. L'opulence des nations et la fortune des particuliers n'excusent point leurs crimes. Je souillerois ma plume et je trahirois mon coeur, si je voulois justifier ainsi les outrages faits à la liberté: mais je le répète, c'est une considération plus puissante qui m'occupe: c'est le sort des esclaves qu'il ne faut pas exposer. Leur existence et leur bonheur tiennent aujourd'hui à nos propriétés.
Préparons la liberté qu'on doit leur donner un jour. Assurons-leur les moyens de l'obtenir par des travaux dont les produits leur appartiennent. L'homme n'est soumis aux loix sociales que pour conserver ses propriétés: il faut donc en donner à l'esclave qu'on veut affranchir.
Cette marche est celle de la nature. Lorsque les esclaves n'ont pas été affranchis par la victoire, ou, lorsqu'ils sont restés attachés au joug du vainqueur, ils ont été _serfs de glèbe_ avant de devenir libres; tels étoient les esclaves chez les Germains, au rapport de Tacite[16].
Frappé de cette idée, il y a bient?t douze ans que je proposai à l'administration de diriger, d'après ce système, les nouveaux établissements dont on s'occupoit pour la Guyanne Fran?oise. C'est dans cette vue que j'y avois demandé et obtenu une concession[17]. Les circonstances et la guerre ont détruit ces projets: mais rien ne peut arracher de mon coeur le sentiment qui les dictoit. Je desirois que cette colonie serv?t de modèle pour l'affranchissement successif des esclaves. J'espérois que cette terre funeste, qui a co?té tant de trésors et tant de sang, jouiroit enfin de quelque liberté. J'avois tracé la marche successive de cet affranchissement, d'après la position particulière de cette colonie, et les moyens que le gouvernement se proposoit d'employer.
Je rappelle les mêmes principes, et j'ai prouvé qu'ils n'étoient que l'expression de la justice et de l'intérêt public et particulier. J'ai indiqué les dangers d'un affranchissement subit, et, s'il falloit des autorités, je dirois ce que Montesquieu rapporte de l'embarras des Romains pour cette partie de leur police publique, et de l'abus que des affranchis ont osé faire de leur droits.
Il faut, a dit un homme dont la plume éloquente a défendu avec énergie les droits sacrés de la liberté publique, ?il faut, avant toutes choses, rendre dignes de la liberté et capables de la supporter, les serfs qu'on veut affranchir?[18].
Je propose d'abord d'assurer en propriété à chaque esclave ce qu'il pourra gagner au delà du travail modéré auquel il peut être assujetti. La loi relative à la mesure du travail imposé, doit varier suivant le genre de culture et la situation des établissements; mais par-tout les règlements devront assurer à un esclave actif et laborieux les moyens de gagner, dans l'espace de six ou sept ans au plus, une somme égale aux trois quarts de sa valeur. Cette somme, fixée par la loi, ne doit pas être arbitraire. En payant cette somme à son ma?tre, l'esclave deviendroit _serf de glèbe_[19], c'est-à-dire, qu'il seroit attaché à une partie du terrein ou des travaux de l'habitation, et le produit de sa culture seroit partagé entre son ma?tre et lui[20]. Les Nègres ouvriers auroient, en entrant dans la classe des _serfs de glèbe_, un salaire également fixé par la loi. Chaque esclave, en obtenant ce premier degré d'affranchissement, auroit le droit d'assurer le même avantage à sa femme, en payant une somme d'autant moins forte qu'elle auroit un plus grand nombre d'enfants. Les enfants ne na?troient _serfs de glèbe_, qu'autant que leurs mères seroient déjà dans cette classe. Le _pécule_ ou le gain assuré par la loi suivroit l'esclave, et appartiendroit à sa femme ou à ses enfants, après lui; celui de la femme appartiendroit également ou au mari, ou aux enfants. S'ils n'avoient pas d'héritiers naturels, les esclaves pourroient disposer de leurs gains à leur volonté; et s'ils n'en disposoient pas, leur pécule appartiendroit aux fonds de charités établis dans la colonie. Les successions des _serfs de glèbe_ pourroient être soumises à la même loi. Tout affranchissement qui ne seroit pas le prix du travail ou d'une grande vertu, seroit proscrit. C'est ainsi qu'on formeroit cette population avilie à l'amour du travail et au respect des moeurs. Le _serf de glèbe_ ne pourroit ensuite s'affranchir des obligations que lui imposeroit la loi, qu'en remplissant celles qu'elle prescriroit pour le conduire à une liberté entière. Ces conditions seroient ou l'achat de la terre, s'il convenoit au propriétaire de l'aliéner, ou des redevances, ou le paiement d'une somme suffisante pour que le propriétaire p?t faire cultiver lui-même la portion de terre que le serf abandonneroit. Les serfs
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