Discours Civiques de Danton | Page 2

Georges Jacques Danton
père

INTRODUCTION
I
Voici le seul orateur populaire de la Révolution.
De tous ceux qui, à la Constituante, à la Législative ou à la Convention, ont occupé la
tribune et mérité le laurier de l'éloquence, Danton est le seul dont la parole trouva un écho
dans la rue et dans le coeur du peuple. C'est véritablement l'homme de la parole
révolutionnaire, de la parole d'insurrection. Que l'éloquence noblement ordonnée d'un
Mirabeau et les discours froids et électriques d'un Robespierre, soient davantage prisés
que les harangues hagardes et tonnantes de Danton, c'est là un phénomène qui ne saurait
rien avoir de surprenant. Si les deux premiers de ces orateurs ont pu léguer à la postérité
des discours qui demeurent le testament politique d'une époque, c'est qu'ils furent rédigés
pour cette postérité qui les accueille. Pour Danton rien de pareil. S'il atteste quelquefois
cette postérité, qui oublie en lui l'orateur pour le meneur, c'est par pur effet oratoire, parce
qu'il se souvient, lui aussi, des classiques dont il est nourri, et ce n'est qu'un incident rare.
Ce n'est pas à cela qu'il prétend. Il ne sait point "prévoir la gloire de si loin". Il est
l'homme de l'heure dangereuse, l'homme de la patrie en danger; l'homme de l'insurrection.
"Je suis un homme de Révolution [Note: ÉDOUARD FLEURY. Etudes révolutionnaires:
Camille Desmoulins et Roch Mercandier (la presse révolutionnaire), p. 47; Paris, 1852]",
lui fait-on dire. Et c'est vrai. Telles, ses harangues n'aspirent point à se survivre. Que sa
parole soit utile et écoutée à l'heure où il la prononce, c'est son seul désir et il estime son
devoir accompli.
On conçoit ce que cette théorie, admirable en pratique, d'abnégation et de courage civique,
peut avoir de défectueux pour la renommée oratoire de l'homme qui en fait sa règle de
conduite, sa ligne politique. Nous verrons, plus loin, que ce n'est pas le seul sacrifice fait
par Danton à sa patrie.
Ces principes qu'il proclame, qu'il met en oeuvre, sont la meilleure critique de son
éloquence. "Ses harangues sont contre toutes les règles de la rhétorique: ses métaphores
n'ont presque jamais rien de grec ou de latin (quoiqu'il aimât à parler le latin). Il est
moderne, actuel" [Note: F.A. AULARD. Études et leçons sur la Révolution française,
tome 1, p. 183; Paris, Félix Alcan, 1893.], dit M. Aulard qui lui a consacré de profondes
et judicieuses études. C'est là le résultat de son caractère politique, et c'est ainsi qu'il se
trouve chez Danton désormais inséparable de son éloquence. Homme d'action avant tout,
il méprise quelque peu les longs discours inutiles. Apathie déconcertante chez lui. En
effet, il semble bien, qu'avocat, nourri dans la basoche, coutumier de toutes les chicanes,
et surtout de ces effroyables chicanes judiciaires de l'ancien régime, il ait dû prendre
l'habitude de les écouter en silence, quitte à foncer ensuite, tète baissée, sur l'adversaire.
Mais peut-être est-ce de les avoir trop souvent écoutés, ces beaux discours construits
selon les méthodes de la plus rigoureuse rhétorique, qu'il se révèle leur ennemi le jour où
la basoche le lâche et fait de l'avocat aux Conseils du Roi l'émeutier formidable rué à
l'assaut des vieilles monarchies? Sans doute, mais c'est surtout parce qu'il n'est point
l'homme de la chicane et des tergiversations, parce que, mêlé à la tourmente la plus
extraordinaire de l'histoire, il comprend, avec le coup d'oeil de l'homme d'État qu'il fut

dès le premier jour, le besoin, l'obligation d'agir et d'agir vite. Qui ne compose point avec
sa conscience, ne compose point avec les événements. Cela fait qu'au lendemain d'une
nuit démente, encore poudreux, de la bagarre, un avocat se trouve ministre de la Justice.
Se sent-il capable d'assumer cette lourde charge? Est-il préparé à la terrible et souveraine
fonction? Le sait-il? Il ne discute point avec lui-même et accepte. Il sait qu'il est avocat
du peuple, qu'il appartient au peuple. Il accepte parce qu'il faut vaincre, et vaincre
sur-le-champ.[Note: "Mon ami Danton est devenu ministre de la Justice par la grâce du
canon: cette journée sanglante devait finir, pour nous deux surtout, par être élevés ou
hissés ensemble. Il l'a dit à l'Assemblée nationale: Si j'eusse été vaincu, je serais
criminel." Lettre de Camille Desmoulins à son père, 15 août 1792. Oeuvres de Camille
Desmoulins, recueillies et publiées d'après les textes originaux par M. Jules Claretie,
tome II, p. 367-369; Paris, Pasquelle, 1906.]
Cet homme-là n'est point l'homme de la mûre réflexion, et de là ses fautes. Il accepte
l'inspiration du moment, pourvu, toutefois, qu'elle s'accorde avec l'idéal politique que, dès
les premiers jours, il s'est proposé d'atteindre.
Il n'a point, comme Mirabeau, le génie de la facilité, cette abondance méridionale que
parent les plus belles fleurs de l'esprit, de l'intelligence et de la réminiscence. Mirabeau,
c'est un phénomène d'assimilation, extraordinaire écho des pensées d'autrui qu'il fond et
dénature magnifiquement
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