De lorigine des espèces | Page 8

Charles Darwin
profonde gratitude à M.
le docteur Hooker, qui, pendant ces quinze dernières années, a mis à
mon entière disposition ses trésors de science et son excellent
jugement.
On comprend facilement qu'un naturaliste qui aborde l'étude de
l'origine des espèces et qui observe les affinités mutuelles des êtres
organisés, leurs rapports embryologiques, leur distribution
géographique, leur succession géologique et d'autres faits analogues, en
arrive à la conclusion que les espèces n'ont pas été créées
indépendamment les unes des autres, mais que, comme les variétés,
elles descendent d'autres espèces. Toutefois, en admettant même que
cette conclusion soit bien établie, elle serait peu satisfaisante jusqu'à ce
qu'on ait pu prouver comment les innombrables espèces, habitant la
terre, se sont modifiées de façon à acquérir cette perfection de forme et
de coadaptation qui excite à si juste titre notre admiration. Les
naturalistes assignent, comme seules causes possibles aux variations,
les conditions extérieures, telles que le climat, l'alimentation, etc. Cela
peut être vrai dans un sens très limité, comme nous le verrons plus tard;
mais il serait absurde d'attribuer aux seules conditions extérieures la
conformation du pic, par exemple, dont les pattes, la queue, le bec et la
langue sont si admirablement adaptés pour aller saisir les insectes sous
l'écorce des arbres. Il serait également absurde d'expliquer la
conformation du gui et ses rapports avec plusieurs êtres organisés
distincts, par les seuls effets des conditions extérieures, de l'habitude,
ou de la volonté de la plante elle-même, quand on pense que ce parasite
tire sa nourriture de certains arbres, qu'il produit des graines que

doivent transporter certains oiseaux, et qu'il porte des fleurs unisexuées,
ce qui nécessite l'intervention de certains insectes pour porter le pollen
d'une fleur à une autre.
Il est donc de la plus haute importance d'élucider quels sont les moyens
de modification et de coadaptalion. Tout d'abord, il m'a semblé
probable que l'étude attentive des animaux domestiques et des plantes
cultivées devait offrir le meilleur champ de recherches pour expliquer
cet obscur problème. Je n'ai pas été désappointé; j'ai bientôt reconnu, en
effet, que nos connaissances, quelque imparfaites qu'elles soient, sur les
variations à l'état domestique, nous fournissent toujours l'explication la
plus simple et la moins sujette à erreur. Qu'il me soit donc permis
d'ajouter que, dans ma conviction, ces études ont la plus grande
importance et qu'elles sont ordinairement beaucoup trop négligées par
les naturalistes.
Ces considérations m'engagent à consacrer le premier chapitre de cet
ouvrage à l'étude des variations à l'état domestique. Nous y verrons que
beaucoup de modifications héréditaires sont tout au moins possibles; et,
ce qui est également important, ou même plus important encore, nous
verrons quelle influence exerce l'homme en accumulant, par la
sélection, de légères variations successives. J'étudierai ensuite la
variabilité des espèces à l'état de nature, mais je me verrai
naturellement forcé de traiter ce sujet beaucoup trop brièvement; on ne
pourrait, en effet, le traiter complètement qu'à condition de citer une
longue série de faits. En tout cas, nous serons à même de discuter
quelles sont les circonstances les plus favorables à la variation. Dans le
chapitre suivant, nous considérerons la lutte pour l'existence parmi les
êtres organisés dans le monde entier, lutte qui doit inévitablement
découler de la progression géométrique de leur augmentation en
nombre. C'est la doctrine de Malthus appliquée à tout le règne animal et
à tout le règne végétal. Comme il naît beaucoup plus d'individus de
chaque espèce qu'il n'en peut survivre; comme, en conséquence, la lutte
pour l'existence se renouvelle à chaque instant, il s'ensuit que tout être
qui varie quelque peu que ce soit de façon qui lui est profitable a une
plus grande chance de survivre; cet être est ainsi l'objet d'une sélection
naturelle. En vertu du principe si puissant de l'hérédité, toute variété

objet de la sélection tendra à propager sa nouvelle forme modifiée.
Je traiterai assez longuement, dans le quatrième chapitre, ce point
fondamental de la sélection naturelle. Nous verrons alors que la
sélection naturelle cause presque inévitablement une extinction
considérable des formes moins bien organisées et amène ce que j'ai
appelé la divergence des caractères. Dans le chapitre suivant,
j'indiquerai les lois complexes et peu connues de la variation. Dans les
cinq chapitres subséquents, je discuterai les difficultés les plus
sérieuses qui semblent s'opposer à l'adoption de cette théorie;
c'est-à-dire, premièrement, les difficultés de transition, ou, en d'autres
termes, comment un être simple, ou un simple organisme, peut se
modifier, se perfectionner, pour devenir un être hautement développé,
ou un organisme admirablement construit; secondement, l'instinct, ou la
puissance intellectuelle des animaux; troisièmement, l'hybridité, ou la
stérilité des espèces et la fécondité des variétés quand on les croise; et,
quatrièmement, l'imperfection des documents géologiques. Dans le
chapitre suivant, j'examinerai la succession géologique des êtres à
travers le temps; dans le douzième et dans le treizième chapitre, leur
distribution
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