plus despotiques conviendraient également à des hommes inertes, qui seraient contents de rester à la place que le sort leur aurait fixée, et que la théorie démocratique la plus abstraite serait praticable au milieu d'hommes sages uniquement conduits par leur raison. Le seul problème des constitutions est donc de conna?tre jusqu'à quel degré on peut exciter ou comprimer les passions, sans compromettre le bonheur public.
Avant d'aller plus loin, l'on demanderait peut-être une définition du bonheur. Le bonheur, tel qu'on le souhaite, est la réunion de tous les contraires: c'est pour les individus l'espoir sans la crainte, l'activité sans l'inquiétude, la gloire sans la calomnie, l'amour sans l'inconstance, l'imagination qui embellirait à nos yeux ce qu'on possède, et flétrirait le souvenir de ce qu'on aurait perdu; enfin l'ivresse de la nature morale, le bien de tous les états, de tous les talents, de tous les plaisirs, séparé du mal qui les accompagne. Le bonheur des nations serait aussi de concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies, l'émulation des talents et le silence des factions, l'esprit militaire au dehors et le respect des lois au dedans. Le bonheur, tel que l'homme le con?oit, c'est ce qui est impossible en tout genre; et le bonheur, tel qu'on peut l'obtenir, le bonheur sur lequel la réflexion et la volonté de l'homme peuvent agir, ne s'acquiert que par l'étude de tous les moyens les plus s?rs pour éviter les grandes peines. C'est à la recherche de ce but que ce livre est destiné.
Deux ouvrages doivent se trouver dans un seul: l'un étudie l'homme dans ses rapports avec lui-même, l'autre dans les relations sociales de tous les individus entre eux: quelque analogie se trouve dans les idées principales de ces deux traités, parce qu'une nation présente le caractère d'un homme, et que la force du gouvernement doit agir sur elle, comme la puissance de la raison d'un individu sur lui-même. Le philosophe veut rendre durable la volonté passagère de la réflexion; l'art social tend à perpétuer l'action de la sagesse; enfin ce qui est grand se retrouve dans ce qui est petit, avec la même exactitude de proportions: l'univers tout entier se peint dans chacune de ses parties, et plus il para?t l'oeuvre d'une seule idée, plus il inspire d'admiration.
Une grande différence, cependant, existe entre le système du bonheur de l'individu et celui du bonheur des nations; c'est que dans le premier on peut avoir pour but l'indépendance morale la plus parfaite, c'est-à-dire, l'asservissement de toutes les passions, chaque homme pouvant tout tenter sur lui-même; mais que, dans le second, la liberté politique doit toujours être calculée d'après l'existence positive et indestructive d'une certaine quantité d'êtres passionnés faisant partie du peuple qui doit être gouverné. La première partie est uniquement consacrée aux réflexions sur la destinée particulière. La seconde partie doit traiter du sort constitutionnel des nations.
Dans la seconde partie, je compte examiner les gouvernements anciens et modernes sous le rapport de l'influence qu'ils ont laissée aux passions naturelles aux hommes réunis en corps politique, et trouver la cause de la naissance, de la durée et de la destruction des gouvernements, dans la part plus ou moins grande qu'ils ont faite au besoin d'action qui existe dans toute société. Dans la première section de la seconde partie, je traiterai des raisons qui se sont opposées à la durée et surtout au bonheur des gouvernements où toutes les passions ont été comprimées. Dans la seconde section, je traiterai des raisons qui se sont opposées au bonheur et surtout à la durée des gouvernements où toutes les passions ont été excitées. Dans la troisième section, je traiterai des raisons qui détournent la plupart des hommes de se borner à l'enceinte des petits états où la liberté démocratique peut exister, parce que là les passions ne sont excitées par aucun but, par aucun théatre propre à les enflammer. Enfin, je terminerai cet ouvrage par des réflexions sur la nature des constitutions représentatives, qui peuvent concilier une partie des avantages regrettés dans les divers gouvernements.
Ces deux ouvrages conduisent nécessairement l'un à l'autre; car si l'homme parvenait individuellement à dompter ses passions, le système des gouvernements se simplifierait tellement qu'on pourrait alors adopter, comme praticable, l'indépendance complète, dont l'organisation des petits états est susceptible. Mais quand cette théorie métaphysique serait impossible, au moins est-il vrai que plus l'on travaille à calmer les sentiments impétueux qui agitent l'homme au dedans de lui, moins la liberté publique a besoin d'être modifiée; ce sont toujours les passions qui forcent à sacrifier de l'indépendance pour assurer l'ordre, et tous les moyens qui tendent à rendre l'empire à la raison diminuent le nombre nécessaire des sacrifices de liberté.--J'ai à peine commencé la seconde partie politique, dont je ne puis donner une idée par ce peu de mots. En m'en occupant, je vois
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