séjour au lit beaucoup moins long, et ses journées plus profitables à son instruction.
§. II.
IIe. VUE. Réveiller la sensibilité nerveuse par les stimulans les plus énergiques, et quelquefois par les vives affections de l'ame.
Quelques physiologistes modernes ont soup?onné que la sensibilité était en raison directe de la civilisation. Je ne crois pas que l'on en puisse donner une plus forte preuve que celle du peu de sensibilité des organes sensoriaux chez le sauvage de l'Aveyron. On peut s'en convaincre en reportant les yeux sur la description que j'en ai déjà présentée, et dont j'ai puisé les faits à la source la moins suspecte. J'ajouterai ici, relativement au même sujet, quelques-unes de mes observations les plus marquantes.
Plusieurs fois, dans le cours de l'hiver, je l'ai vu, en traversant le jardin des Sourds-Muets, accroupi à demi nud sur un sol humide, rester ainsi exposé pendant des heures entières à un vent froid et pluvieux. Ce n'est pas seulement pour le froid, mais encore pour une vive chaleur que l'organe de la peau et du toucher ne témoignait aucune sensibilité; il lui arrivait journellement, quand il était auprès du feu, et que des charbons ardens venaient à rouler hors de l'atre, de les saisir avec les doigts, et de les replacer sans trop de précipitation sur des tisons enflammés. On l'a surpris plus d'une fois à la cuisine, enlevant de la même manière des pommes de terre qui cuisaient dans l'eau bouillante; et je puis assurer qu'il avait, même en ce tems-là, un épiderme fin et velouté[7]. Je suis parvenu souvent à lui remplir de tabac les cavités extérieures du nez, sans provoquer l'étern?ment. Cela suppose qu'il n'existait entre l'organe de l'odorat, très-exercé d'ailleurs, et ceux de la respiration et de la vue, aucun de ces rapports sympathiques qui font partie constituante de la sensibilité de nos sens, et qui dans ce cas-ci auraient déterminé l'étern?ment ou la secrétion des larmes. Ce dernier effet était encore moins subordonné aux affections tristes de l'ame; et malgré les contrariétés sans nombre, malgré les mauvais traitemens auxquels l'avait exposé, dans les premiers mois, son nouveau genre de vie, jamais je ne l'avais surpris à verser des pleurs.--L'oreille était, de tous les sens, celui qui paraissait le plus insensible. On a su cependant que le bruit d'une noix ou de tout autre corps comestible de son go?t ne manquait jamais de le faire retourner. Cette observation est des plus vraies; et cependant ce même organe se montrait insensible aux bruits les plus forts et aux explosions des armes à feu. Je tirai près de lui, un jour, deux coups de pistolet; le premier parut un peu l'émouvoir, le second ne lui fit pas seulement tourner la tête.
[7] Je lui présentai, dit un observateur qui l'a vu à Saint-Sernin, une grande quantité de pommes de terre; il se réjou?t en les voyant, en pr?t dans ses mains et les jetta au feu. Il les en retira un instant après, et les mangea toutes br?lantes.
Ainsi, en faisant abstraction de quelques cas tels que celui-ci, où le défaut d'attention de la part de l'ame pouvait simuler un manque de sensibilité dans l'organe, on trouvait néanmoins que cette propriété nerveuse était singulièrement faible dans la plupart des sens. En conséquence, il entrait dans mon plan de la développer par tous les moyens possibles, et de préparer l'esprit à l'attention, en disposant les sens à recevoir des impressions plus vives.
Des divers moyens que je mis en usage, l'effet de la chaleur me parut remplir le mieux cette indication. C'est une chose admise par les physiologistes[8] et les politiques[9] que les habitans du Midi ne doivent qu'à l'action de la chaleur sur la peau cette sensibilité exquise, si supérieure à celle des hommes du Nord. J'employai ce stimulus de toutes les manières. Ce n'était pas assez qu'il fut vétu, couché et logé bien chaudement; je lui fis donner tous les jours, et à une très-haute température, un bain de deux ou trois heures, pendant lequel on lui administrait avec la même eau des douches fréquentes sur la tête. Je ne remarquai point que la chaleur et la fréquence des bains fussent suivis de cet effet débilitant qu'on leur attribue. J'aurais même desiré que cela arrivat, bien persuadé qu'en pareil cas, la perte des forces musculaires tourne au profit de la sensibilité nerveuse. Au moins si cet effet subséquent n'eut point lieu, le premier ne trompa pas mon attente. Au bout de quelque tems notre jeune sauvage se montrait sensible à l'action du froid, se servait de la main pour reconna?tre la température du bain, et refusait d'y entrer quand il n'était que médiocrement chaud. La même cause lui fit bient?t apprécier l'utilité des vêtemens, qu'il n'avait supportés jusque-là qu'avec beaucoup d'impatience. Cette utilité une fois connue, il n'y avait qu'un pas à faire
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