à des morsures d'animaux et les autres à des déchirures, à des écorchures plus ou moins larges, plus ou moins profondes; témoignages nombreux et ineffa?ables du long et total abandon de cet infortuné, et qui, considérés sous un point de vue plus général et plus philosophique, déposent autant contre la faiblesse et l'insuffisance de l'homme livré seul à ses propres moyens, qu'en faveur des ressources de la nature, qui, selon des lois en apparence contradictoires, travaille ouvertement à réparer et à conserver ce qu'elle tend sourdement à détériorer et à détruire. Qu'on joigne à tous ces faits déduits de l'observation, ceux non moins authentiques qu'ont déposés les habitans des campagnes, voisines du bois où cet enfant a été trouvé, et l'on saura que dans les premiers jours qui suivirent son entrée dans la société, il ne se nourrissait que de glands, de pommes de terre et de chataignes crues; qu'il ne rendait aucune espèce de son; que malgré la surveillance la plus active, il parvint plusieurs fois à s'échapper; qu'il manifesta d'abord beaucoup de répugnance à coucher dans un lit, etc.: l'on saura sur-tout qu'il avait été vu plus de cinq ans auparavant entièrement nud et fuyant à l'approche des hommes[6]; ce qui suppose qu'il était déjà, lors de sa première apparition, habitué à ce genre de vie; habitude qui ne pouvait être le résultat que de deux ans au moins de séjour dans des lieux inhabités. Ainsi cet enfant a passé dans une solitude absolue sept ans à-peu-près sur douze, qui composaient l'age qu'il paraissait avoir quand il fut pris dans les bois de la Caune. Il est donc probable et presque prouvé qu'il y a été abandonné à l'age de quatre ou cinq ans, et que si, à cette époque, il devait déjà quelques idées et quelques mots à un commencement d'éducation, tout cela se sera effacé de sa mémoire par suite de son isolement.
[6] Lettre du citoyen N... insérée dans le Journal des Débats, 5 pluviose an 8.
Voilà quelle me parut être la cause de son état actuel. On voit pourquoi j'en augurai favorablement pour le succès de mes soins. En effet, sous le rapport du peu de tems qu'il était parmi les hommes, le sauvage de l'Aveyron était bien moins un adolescent imbecille, qu'un enfant de dix ou douze mois, et un enfant qui aurait contre lui des habitudes anti-sociales, une opiniatre inattention, des organes peu flexibles, et une sensibilité accidentellement émoussée. Sous ce dernier point de vue, sa situation devenait un cas purement médical, et dont le traitement appartenait à la médecine morale, à cet art sublime créé en Angleterre par les Willis et les Crichton, et répandu nouvellement en France par les succès et les écrits du professeur Pinel.
Guidé par l'esprit de leur doctrine, bien moins que par leurs préceptes, qui ne pouvaient s'adapter à ce cas imprévu, je réduisis à cinq vues principales le traitement moral ou l'éducation du sauvage de l'Aveyron.
Iere. vue: L'attacher à la vie sociale, en la lui rendant plus douce que celle qu'il menait alors, et sur-tout plus analogue à la vie qu'il venait de quitter.
IIe. vue: Réveiller la sensibilité nerveuse par les stimulans les plus énergiques, et quelquefois par les vives affections de l'ame.
IIIe. vue: étendre la sphère de ses idées en lui donnant des besoins nouveaux, et en multipliant ses rapports avec les êtres environnans.
IVe. vue: Le conduire à l'usage de la parole, en déterminant l'exercice de l'imitation par la loi impérieuse de la nécessité.
Ve. vue: Exercer pendant quelque-tems sur les objets de ses besoins physiques les plus simples opérations de l'esprit, et en déterminer ensuite l'application sur des objets d'instruction.
§. I.
Iere. VUE. L'attacher à la vie sociale, en la lui rendant plus douce que celle qu'il menait alors, et sur-tout plus analogue à la vie qu'il venait de quitter.
Un changement brusque dans sa manière de vivre, les fréquentes importunités des curieux, quelques mauvais traitemens, effets inévitables de sa co-habitation avec des enfans de son age, semblaient avoir éteint tout espoir de civilisation. Sa pétulante activité avait dégénéré insensiblement en une apathie sourde qui avait produit des habitudes encore plus solitaires. Aussi, à l'exception des momens où la faim l'amenait à la cuisine, on le trouvait presque toujours accroupi dans l'un des coins du jardin, ou caché au deuxième étage derrière quelques débris de ma?onnerie. C'est dans ce déplorable état que l'ont vu certains curieux de Paris, et que, d'après un examen de quelques minutes, ils l'ont jugé digne d'être envoyé aux Petites Maisons; comme si la société avait le droit d'arracher un enfant à une vie libre et innocente, pour l'envoyer mourir d'ennui dans un hospice, et y expier le malheur d'avoir trompé la curiosité publique. Je crus qu'il existait un parti plus simple et sur-tout plus humain; c'était d'user envers lui de bons traitemens et
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