lorsqu'en levant les yeux pour essuyer ses larmes, elle vit arriver par le jardin une femme qu'elle ne connaissait pas.
Au second coup d'oeil, ma mère eut un pressentiment certain que c'était miss Betsy. Les rayons du soleil couchant éclairaient à la porte du jardin toute la personne de cette étrangère, elle marchait d'un pas trop ferme et d'un air trop déterminé pour que ce p?t être une autre que Betsy Trotwood.
En arrivant devant la maison, elle donna une autre preuve de son identité. Mon père avait souvent fait entendre à ma mère que sa tante ne se conduisait presque jamais comme le reste des humains; et voilà en effet qu'au lieu de sonner à la porte, elle vint se planter devant la fenêtre, et appuya si fort son nez contre la vitre qu'il en devint tout blanc et parfaitement plat au même instant, à ce que m'a souvent raconté ma pauvre mère.
Cette apparition porta un tel coup à ma mère que c'est à miss Betsy, j'en suis convaincu, que je dois d'être né un vendredi.
Ma mère se leva brusquement et alla se cacher dans un coin derrière sa chaise. Miss Betsy après avoir lentement parcouru toute la pièce du regard, en roulant les yeux comme le font certaines têtes de Sarrasin dans les horloges flamandes, aper?ut enfin ma mère. Elle lui fit signe d'un air refrogné de venir lui ouvrir la porte, comme quelqu'un qui a l'habitude du commandement. Ma mère obéit.
?Mistress David Copperfield, je suppose, dit miss Betsy en appuyant sur le dernier mot, sans doute pour faire comprendre que sa supposition venait de ce qu'elle voyait ma mère en grand deuil, et sur le point d'accoucher.
-- Oui, répondit faiblement ma mère.
-- Miss Trotwood, lui répliqua-t-on; vous avez entendu parler d'elle, je suppose??
Ma mère dit qu'elle avait eu ce plaisir. Mais elle sentait que malgré elle, elle laissait assez voir que le plaisir n'avait pas été immense.
?Eh bien! maintenant vous la voyez,? dit miss Betsy. Ma mère baissa la tête et la pria d'entrer.
Elles s'acheminèrent vers la pièce que ma mère venait de quitter; depuis la mort de mon père, on n'avait pas fait de feu dans le salon de l'autre c?té du corridor; elles s'assirent, miss Betsy gardait le silence; après de vains efforts pour se contenir, ma mère fondit en larmes.
?Allons, allons! dit miss Betsy vivement, pas de tout cela! venez ici.?
Ma mère ne pouvait que sangloter sans répondre.
??tez votre bonnet, enfant, dit miss Betsy, il faut que je vous voie.?
Trop effrayée pour résister à cette étrange requête, ma mère fit ce qu'on lui disait; mais ses mains tremblaient tellement qu'elle détacha ses longs cheveux en même temps que son bonnet.
?Ah! bon Dieu! s'écria miss Betsy, vous n'êtes qu'un enfant!?
Ma mère avait certainement l'air très-jeune pour son age; elle baissa la tête, pauvre femme! comme si c'était sa faute, et murmura, au milieu de ses larmes, qu'elle avait peur d'être bien enfant pour être déjà veuve et mère. Il y eut un moment de silence, pendant lequel ma mère s'imagina que miss Betsy passait doucement la main sur ses cheveux; elle leva timidement les yeux: mais non, la tante était assise d'un air rechigné devant le feu, sa robe relevée, les mains croisées sur ses genoux, les pieds posés sur les chenets.
?Au nom du ciel, s'écria tout d'un coup miss Betsy, pourquoi l'appeler rookery[1]?
-- Vous parlez de cette maison, madame? demanda ma mère.
-- Oui, pourquoi l'appeler Rookery? Vous l'auriez appelé cookery[2], pour peu que vous eussiez eu de bon sens, l'un ou l'autre.
-- M. Copperfield aimait ce nom, répondit ma mère. Quand il acheta cette maison, il se plaisait à penser qu'il y avait des nids de corbeaux dans les alentours.?
Le vent du soir s'élevait, et les vieux ormes du jardin s'agitaient avec tant de bruit, que ma mère et miss Betsy jetèrent toutes deux les yeux de ce c?té. Les grands arbres se penchaient l'un vers l'autre, comme des géants qui vont se confier un secret, et qui, après quelques secondes de confidence, se relèvent brusquement, secouant au loin leurs bras énormes, comme si ce qu'ils viennent d'entendre ne leur laissait aucun repos: quelques vieux nids de corbeaux, à moitié détruits par les vents, ballottaient sur les branches supérieures, comme un débris de navire bondit sur une mer orageuse.
?Où sont les oiseaux? demanda miss Betsy.
-- Les...?? Ma mère pensait à toute autre chose.
?Les corbeaux?... où sont-ils passés? redemanda miss Betsy.
-- Je n'en ai jamais vu ici, dit ma mère. Nous croyions, M. Copperfield avait cru... qu'il y avait une belle rookery, mais les nids étaient très-anciens et depuis longtemps abandonnés.
-- Voilà bien David Copperfield! dit miss Betsy. C'est bien là lui, d'appeler sa maison la rookery, quand il n'y a pas dans les environs un seul corbeau, et de croire aux oiseaux parce qu'il voit des
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.