Cymbeline | Page 5

William Shakespeare
et, semblable au souffle tyrannique du nord, il fait tomber tous nos boutons et les empêche de pousser.
(Une dame de la reine entre.)
LA DAME.--La reine, madame, désire que Votre Altesse se rende auprès d'elle.
IMOGèNE, _à Pisanio_.--Allez exécuter les ordres dont je vous ai chargé, je vais rejoindre la reine.
PISANIO.--Je vous obéirai, madame.
(Ils sortent.)
SCèNE IV
Rome.--Appartement de la maison de Philario.
_Entrent_ PHILARIO, IACHIMO, UN FRAN?AIS, UN HOLLANDAIS ET UN ESPAGNOL.
IACHIMO.--Croyez-moi, seigneur; je l'ai vu en Angleterre, sa réputation allait croissant, on s'attendait à lui voir prouver le mérite qu'on lui reconna?t aujourd'hui; mais je pouvais alors le regarder encore sans admiration, quand le catalogue de ses qualités e?t été inscrit à son c?té et que j'eusse parcouru article par article.
PHILARIO.--Vous parlez d'un temps où il n'était pas encore, comme aujourd'hui, revêtu de tout ce qui en fait un homme accompli, au dedans et au dehors.
LE FRAN?AIS.--Je l'ai vu en France; et nous avions là bien des gens qui pouvaient fixer le soleil d'un oeil aussi ferme que lui.
IACHIMO.--Cette affaire, d'avoir épousé la fille de son roi, le fait valoir, je n'en doute point, fort au delà de son mérite; on l'apprécie d'après la valeur de son amante, bien plus que d'après la sienne.
LE FRAN?AIS.--Et puis son bannissement...
IACHIMO.--Oui, oui; les suffrages de ceux qui, sous la bannière de la princesse, pleurent ce douloureux divorce; tout cela sert?merveilleusement à exalter Posthumus. Ne f?t-ce que pour prouver le bon jugement d'Imogène, qu'il serait autrement aisé de nier si elle avait pris pour époux un mendiant sans autres qualités. Mais comment arrive-t-il, Philario, qu'il vienne s'établir chez vous? Où votre liaison s'est-elle formée?
PHILARIO.--Son père et moi nous avons fait la guerre ensemble, et je ne dois pas moins que la vie à son père, qui me l'a sauvée plus d'une fois. Voici l'Anglais. (_Posthumus para?t._) Qu'il soit traité parmi vous avec les égards que des gentilshommes comme vous doivent à un étranger de sa qualité. Je vous exhorte tous à lier une plus étroite connaissance avec ce cavalier, je vous le recommande comme mon digne ami. Je veux lui donner le temps de montrer son mérite, plut?t que de faire son éloge en sa présence.
LE FRAN?AIS, _à Posthumus_.--Seigneur, nous nous sommes connus à Orléans.
POSTHUMUS.--Et depuis lors je vous suis resté redevable d'une foule d'attentions dont je resterai toujours votre débiteur tout en m'acquittant sans cesse.
LE FRAN?AIS.--Seigneur, vous estimez trop haut un faible service. Je me félicitai de vous avoir réconcilié avec mon compatriote; c'e?t été une pitié que de vous laisser rencontrer avec les intentions meurtrières que vous aviez alors tous deux pour une affaire aussi légère, une bagatelle.
POSTHUMUS.--Permettez, seigneur; j'étais alors un jeune voyageur: j'évitais de m'en rapporter à mes propres lumières, aimant mieux me laisser guider par l'expérience des autres; mais depuis que mon jugement s'est formé, si je puis dire, sans offenser personne, qu'il s'est formé, je ne trouve pas que la querelle f?t si frivole.
LE FRAN?AIS.--D'honneur, elle l'était trop pour mériter d'être décidée par le fer, surtout entre deux hommes dont l'un aurait très-probablement immolé l'autre, ou qui seraient restés tous deux sur la place.
IACHIMO.--Pouvons-nous, sans indiscrétion, vous demander quel était le sujet de ce différend?
LE FRAN?AIS.--Sans difficulté, je le pense; la querelle fut publique, et dès lors on peut, sans blesser personne, en faire le récit. C'était à peu près la même thèse qui fut agitée entre nous l'autre soir, lorsque chacun de nous fit l'éloge des dames de son pays. Ce gentilhomme soutenait en ce temps-là, et offrait de le soutenir aux dépens de son sang, que la sienne était plus belle, plus vertueuse, plus spirituelle, plus chaste, plus constante et moins abordable qu'aucune des dames les plus accomplies de France.
IACHIMO.--Cette dame ne vit plus aujourd'hui, ou bien l'opinion qu'en avait ce gentilhomme doit être usée à présent.
POSTHUMUS.--Elle conserve toujours sa vertu, et moi mon opinion.
IACHIMO.--Il ne faut pas que vous lui donniez si fort la préférence sur nos dames d'Italie.
POSTHUMUS.--Quand je serais poussé au point où je le fus en France, je ne rabattrais rien de son prix, quoique je me déclare ici non son ami, mais son adorateur.
IACHIMO.--Aussi belle et aussi vertueuse puisque c'est une espèce de comparaison qui se tient par la main, c'est trop beau et trop bon pour quelque dame de Bretagne que ce soit. Si elle surpassait d'autres femmes que j'ai connues, comme le diamant que vous portez là dépasse en éclat beaucoup de diamants que j'ai vus, je croirais volontiers qu'elle surpasse beaucoup de femmes; mais je n'ai pas vu le plus beau diamant, ni vous la plus belle femme qui soit au monde.
POSTHUMUS.--Je l'ai louée d'après le cas que j'en fais, comme ce diamant.
IACHIMO.--Et combien estimez-vous cette pierre?
POSTHUMUS.--Plus que les trésors du monde entier.
IACHIMO,--Ou votre incomparable ma?tresse est morte, ou la voilà au-dessous du prix d'une bagatelle.
POSTHUMUS.--Vous êtes dans l'erreur: l'une peut
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