Corysandre | Page 4

Hector Malot
Paris. Quand on avait un grand nom ou quand on occupait une haute situation on se moquait bien quelquefois, il est vrai, de Dayelle en rappelant d'un air d��daigneux qu'il avait commenc�� la vie par ��tre commis chez un marchand de toile, puis fabricant de toile lui-m��me, puis filateur de lin, puis banquier, puis l'un des grands faiseurs de son temps; mais on n'en recherchait pas moins les invitations de ce parvenu qui, deux fois par an, pour chacune de ses f��tes, ne d��pensait pas moins de cent mille francs en d��corations nouvelles, en fleurs, et surtout en artistes qu'on n'entendait que chez lui.
Ce n'��tait pas seulement les meilleurs artistes que Dayelle tenait �� offrir �� ses invit��s, c'��tait encore tout ce qui, �� un titre quelconque: gloire, talent, beaut��, fortune, promettait d'arriver bient?t �� la c��l��brit��; il ne fallait pas ��tre contest��, mais d'autre part il ne fallait pas non plus ��tre consacr��, puisqu'il avait la pr��tention d'��tre lui-m��me le consacrant. Aussi en allant chez lui s'attendait-on toujours �� quelque surprise. Quelle serait-elle? On n'en savait rien, car il la cachait avec soin pour que l'effet produit f?t plus grand; mais enfin on savait qu'on en aurait une qui, pour ne pas figurer sur le programme, faisait cependant partie oblig��e de ce programme.
Celle que causa la beaut�� de Corysandre fut des plus vives et pendant huit jours elle fournit le sujet de toutes les conversations.
--Vous avez vu cette jeune Am��ricaine avec sa m��re?
--Parbleu, seulement ce n'est pas une Am��ricaine, c'est une fran?aise; elle est d'origine fran?aise: il y a encore dans le Poitou des Barizel de tr��s vieille et tr��s bonne noblesse, et c'est d'un membre de cette famille qui, il y a plus de deux cents ans, alla s'��tablir en Am��rique, que descend cette belle jeune fille.
--Riches les Barizel?
--On le dit: cinq ou six cent mille francs de rente; mais je n'en sais rien. Si vous avez des pr��tentions �� la main de cette belle fille, ne tablez donc pas sur ce que je vous dis; ces fortunes d'Am��rique ressemblent souvent aux batons flottants. La seule chose certaine, c'est que la m��re a achet�� un terrain dans les Champs-Elys��es o�� elle va, dit-on, faire construire un h?tel.
--?a c'est quelque chose.
--C'est beaucoup si l'h?tel est construit; mais s'il ne l'est pas, si on en voit jamais que le plan, ce n'est rien. J'ai connu des gens qui, avec un terrain et un plan qu'ils montraient �� propos et dont ils parlaient; ont pendant de longues ann��es fait croire �� une fortune qui n'existait pas et n'avait jamais exist��.
--C'est pour cette fortune que Dayelle l'a invit��e �� sa f��te.
--Il l'aurait bien invit��e pour la beaut�� de la fille, sans doute.
--Je n'ai jamais vu d'aussi beaux cheveux blonds.
--Il n'y a plus de blondes.
--Au moins il n'y en a plus de ce blond; il y a des blondes chatain, des blondes cendr��, il n'y a plus de blondes pures, de ce blond de moissons m?ries par le soleil; c'est ce qu'on peut appeler la sinc��rit�� du blond.
--C'est d��j�� quelque chose d'avoir de la sinc��rit�� dans les cheveux.
--Ce serait peu, mais elle para?t en avoir ailleurs: ainsi dans son front si pur, dans ses yeux na?fs, et son regard limpide, dans sa bouche innocente, dans son attitude modeste. Na?ve, douce, modeste et admirablement belle d'une beaut�� qui s'impose par l'��clat et la majest��, voil�� une r��union qui est rare. Maintenant a-t-elle cette sinc��rit�� dans le coeur et dans l'esprit? Cela, je l'ignore, elle ne dit rien ou presque rien: et sous ce rapport il est difficile de la juger; je ne parle que de ce j'ai vu, et ce que j'ai vu, ce qui m'a frapp��, ce qui m'a ��bloui c'est sa beaut��, c'est cette chevelure blonde, ces yeux bruns sous un sourcil pale, ce teint d'une blancheur velout��e, enfin c'est, comme disaient nos p��res, ce port de reine bien curieux vraiment, bien extraordinaire chez une jeune fille qui n'a pas dix-huit ans.
--En a-t-elle m��me dix-sept?
--La m��re dit dix-huit.
--On a vu des m��res vieillir leurs filles pour s'en d��barrasser plus vite.
--La m��re est encore fort bien.
--Un peu empat��e.
--Une cr��ole.
--Est-elle cr��ole?
--Elle en a l'air.
--Elle a m��me l'air plus que cr��ole.
--C'est peut-��tre une octoroon.
--Qu'est-ce que c'est que ?a, une _octoroon_?
--C'est la descendante d'un blanc et d'une n��gresse arriv��e �� la huiti��me g��n��ration; chez elle le sang noir a si bien disparu qu'il n'en reste plus trace, m��me pour l'oeil exerc�� d'un cr��ole; ni la paume de sa main, ni ses ongles ne disent plus rien de son origine.
C'��tait cette belle Corysandre qui, lorsque les salons s'��taient ferm��s �� Paris, ��tait venue avec sa m��re passer la saison �� Bade.
Et l�� on avait parl�� d'elle comme on en avait parl�� �� Paris, car s'il est des gens qui passent partout inaper?us, il en est d'autres qui
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