Corysandre

Hector Malot
Corysandre

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Title: Corysandre
Author: Hector Malot
Release Date: September 18, 2004 [EBook #13490]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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CORYSANDRE ***

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CORYSANDRE
PAR
HECTOR MALOT
CORYSANDRE [1]
[Note 1: L'épisode qui précède a pour titre: _la Duchesse d'Arvernes_.]

I
La saison de Bade était dans tout son éclat; et une lutte qui s'était
établie entre deux joueurs russes, le prince Savine et le prince

Otchakoff, offrait aux curieux et à la chronique les péripéties les plus
émouvantes.
C'était pendant l'hiver précédent que le prince Otchakoff avait fait son
apparition dans le monde parisien, et en quelques mois, par ses gains ou
ses pertes, surtout par le sang-froid imperturbable et le sourire
dédaigneux avec lesquels il acceptait une culotte de cinq cent mille
francs, il s'était conquis une réputation tapageuse qui avait failli donner
la jaunisse au prince Savine, habitué depuis de longues années à se
considérer orgueilleusement comme le seul Russe digne d'occuper la
badauderie parisienne.
C'était un petit homme chétif et maladif que ce prince Otchakoff et qui,
n'ayant pas vingt-cinq ans, paraissait en avoir quarante, bien qu'il fût
blond et imberbe. Dans ce Paris où l'on rencontre tant de physionomies
ennuyées et vides, on n'avait jamais vu un homme si triste, et rien qu'à
le regarder avec ses traits fatigués, ses yeux éteints, son visage jaune et
ridé, son attitude morne, on était pris d'une irrésistible envie de bâiller.
Après avoir essayé de tout il avait trouvé qu'il n'y avait que le jeu qui
lui donnât des émotions, et il jouait pour se sentir vivre autant que pour
faire du bruit en ce monde, ce qui était sa grande, sa seule ambition.
Sa santé étant misérable, sa fortune étant inépuisable, le jeu était le seul
excès qu'il pût se permettre, et il jouait comme d'autres s'épuisent,
s'indigèrent ou s'enivrent.
Comme tant d'autres, il aurait pu se faire un nom en achetant des
collections de tableaux ou de potiches qui l'auraient ennuyé, en prenant
une maîtresse en vue qui l'aurait affiché, en montant une écurie de
course qui l'aurait dupé; mais en esprit pratique qu'il était, il avait
trouvé que le plus simple encore et le moins fatigant, était d'abattre
nonchalamment une carte, de pousser une liasse de billets de banque à
droite ou à gauche et de dire sans se presser: «Je tiens.»
Et ce calcul s'était trouvé juste. En six mois ce nom d'Otchakoff était
devenu célèbre, les journaux l'avaient cité, tambouriné, trompété, et la
foule moutonnière l'avait répété. Ce jeune homme, qui n'avait jamais
fait autre chose dans la vie que de tourner une carte et de combiner un
coup, était devenu un personnage.
Mais une réputation ne surgit pas ainsi sans susciter la jalousie et
l'envie: le prince Savine, qui de très bonne foi croyait être le seul digne
de représenter avec éclat son pays à Paris, avait été exaspéré par ce

bruit. Si encore cet intrus, qui venait prendre une part, et une très grosse
part de cette célébrité mondaine qu'il voulait pour lui tout seul avait été
Anglais, Turc, Mexicain, il se serait jusqu'à un certain point calmé en le
traitant de sauvage; mais un Russe! un Russe qui se montrait plus riche
que lui, Savine! un Russe qu'on disait, et cela était vrai, d'une noblesse
plus haute et plus ancienne que la sienne à lui Savine! Il fallait que
n'importe à quel prix, même au prix de son argent, auquel il tenait tant,
il défendit sa position menacée et se maintînt au rang qu'il avait conquis,
qu'il occupait sans rivaux depuis plusieurs années et qui le rendait si
glorieux.
Alors, lui toujours si rogue et si gonflé, s'était fait l'homme le plus
aimable du monde, le plus affable, le plus gracieux avec quelques
journalistes qu'il connaissait, et il les avait bombardés d'invitations à
déjeuner, ne s'adressant, bien entendu, qu'à ceux qu'il savait assez
vaniteux pour être fiers d'une invitation à l'hôtel Savine et en situation
de parler de ses déjeuners dans leurs chroniques et aussi de tout ce qu'il
voulait qu'on célébrât: son luxe, sa fortune, sa noblesse, son goût, son
esprit, son courage, sa force, sa santé, sa beauté.
Puis, après s'être assuré le concours de cette fanfare, il avait commencé
sa manoeuvre.
Trois jours après une perte énorme subie par Otchakoff avec son
flegme ordinaire, Raphaëlle, la
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