Correspondance, 1812-1876 - Tome 4 | Page 6

George Sand
t'avoir pas pu arrêter un moment dans ta route. écris-nous; nous sommes impatients tous d'avoir de tes nouvelles.
G. SAND.

CCCLXXIX
A M. CHARLES PONCY, A TOULON
Nohant, 11 ao?t 1854,
Mon cher enfant, je vous remercie de m'écrire, et je vous écris aussi, bien que ce ne soit qu'un mot, pour que vous ne soyez pas inquiet de nous: Nous avons aussi le voisinage du choléra. Il sévit assez sérieusement à Chateauroux. Peut-être ne viendra-t-il pas jusqu'ici. Il ne faudrait pourtant pas trop s'y fier; mais je n'en suis pas frappée et effrayée comme vous l'êtes, et permettez-moi de vous dire qu'il faut combattre un peu cette préoccupation qui pourrait être nuisible, si vous étiez atteint même d'un léger mal. Tant d'autres dangers roulent incessamment sur nos têtes, qu'un de plus ne devrait pas assumer sur lui nos angoisses. Je suis bien d'avis qu'il faut s'y soustraire autant que possible et reculer devant le péril qui se particularise, à cause surtout de ceux que nous aimons. Mais, quand on a fait ce qu'on peut et ce qu'on doit, il faut attendre la destinée avec calme. Quand le tonnerre gronde, on fait bien de ne pas se mettre sous les grands arbres. Mais, une fois en plein champ, il faut se dire qu'on a toutes les chances, sauf une, pour qu'il ne vous atteigne pas. Vous me direz que cette chance, grande comme la main, est aussi importante dans le domaine de l'inconnu, du hasard, que la surface entière du globe. Eh bien, alors, n'y pensons pas pour nous-mêmes, puisqu'un aérolithe peut tout aussi bien tomber sur nous du fond d'un ciel pur.
écrivez-moi et dites-moi quand même vos idées noires, si vous ne pouvez les surmonter. J'aime mieux cela que votre silence. Les journaux nous disent que le fléau se retire de vous. Mais je ne crois pas absolument à ce qui est imprimé.
Voilà bien un autre choléra en Espagne! Encore une fois, la glace est brisée; mais le peuple en sortira-t-il plus heureux? Avant un mois, Espartero bombardera ces bonnes villes qui l'appellent comme un sauveur et qui ont déjà oublié ses bombes à peine refroidies! C'est partout et toujours la même histoire qui recommence, et c'est à dégo?ter des articles de foi, dans quelque sens qu'on les envisage.
J'ai eu beaucoup de chagrin et d'inquiétude pour ma fille, qui se croyait fort malade et qui m'envoyait presque ses derniers adieux. Son médecin m'écrit qu'elle n'a presque rien et que je me tienne tranquille.
J'embrasse Solange et Désirée. Mille tendresses d'ici, toujours.

CCCLXXX
A M. ARMAND BARBèS, A BELLE-ISLE EN MER
Nohant, le 5 octobre 1854.
Dieu soit béni pour avoir envoyé au dictateur cette bonne pensée, cette pensée de justice; car toute pensée de cette nature émane de la volonté de Dieu? Votre lettre, votre fragment de lettre cité dans les journaux est une pensée divine aussi; car Dieu veut qu'en dépit des erreurs de point de vue et des haines de parti, et de tous, les griefs fondés ou non, nous aimions la patrie. Comment n'aimerions-nous pas la n?tre, qui représente, à travers toutes les vicissitudes, les idées les plus avancées, de l'univers? Où est donc, _ailleurs_, le ma?tre absolu qui sentirait qu'un patriotisme héro?que, inébranlable, dans le sein d'un homme encha?né, est une raison plus forte que la raison d'état? Il faut gouverner des Fran?ais pour avoir cette lueur, de vérité, au milieu de l'enivrement du pouvoir.
Acceptez, quoi qu'on vous dise; car il est des gens qui vous crieront de refuser, j'en suis s?re. Vous serez forcé, d'ailleurs! La prison ne reprend pas les victimes volontaires. Mais va-t-on vous conseiller de quitter la France? Non, ne le faites pas. Vous êtes libre sans conditions, cela est dit officiellement. Je ne pense pas qu'il y ait une porte de derrière pour vous exiler après cette parole?
Restez donc en France, si les pouvoirs de second ordre ne vous chassent pas. Ils ne l'oseront pas, j'espère.
Restez avec nous; on s'amoindrit à l'étranger, on voit faux, on s'aigrit; on arrive, par nostalgie, à maudire la patrie ingrate, et, par là, on devient ingrat soi-même. Venez à nous qui avons soif de vous voir; rappelez-vous ce rêve doux et déchirant que je faisais encore, pendant que vous étiez en jugement à Bourges: je vous appelais à Nohant, je voulais vous y garder longtemps, refaire votre santé ébranlée, et vous demander de me donner, à moi, cette santé morale qui ne vous a jamais abandonné. Venez, venez! dans huit ou dix jours, je serai à Paris pour une quinzaine, et je veux, de là, vous ramener à Nohant. Je vous y verrai, n'est-ce pas, tout de suite, à Paris? écrivez-moi un mot, que je sache où vous êtes. Moi, je demeure rue Racine, 3, près l'Odéon.
Il y aura des misérables, peut-être, qui diront que vous avez fait agir pour obtenir votre liberté. Oui,
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