au bercail, bien vide sans toi.
Je me demande comment vous avez pu arranger votre théatre, plus petit que celui d'ici, pour être vu de tant de spectateurs. Il est vrai que ton atelier est en longueur.
Je vas tout à fait bien, sans cependant pouvoir rouler ma tête entre mes épaules comme celle d'Arlequin. C'est un exercice qui m'est bien défendu pour quelque temps encore, et je n'ose pas me remettre à jardiner avant qu'il fasse beau. Ce manque de mouvement m'écoeure un peu. Mais je travaille. J'ai repris ma pièce d'un bout à l'autre, et j'ai bon espoir.
Bonsoir, mon cher Bouli; je te bige mille fois, Nini aussi. Je ne t'ai pas dit que le jardinier était parti pour cause de querelles et d'insociabilité!...
[1] _Bouriner_, perdre son temps en ayant l'air de s'occuper. [2] Composition destinée à illustrer une édition du Centaure de Maurice de Guérin, publiée par George Sand, avec une étude sur cette oeuvre.
CCCLXXIV
AU MêME
Nohant, 11 mars 1854.
Ta lettre m'a fait grand plaisir, mon petit vieux chat. Ne t'inquiète pas de mes _bobos_: je me fais plaindre, parce que je suis comme une ame en peine quand je ne peux pas bien travailler.
J'achève ma grande pièce en cinq actes pour la seconde fois. La première version ne m'avait pas satisfaite; c'est fini: je vais aviser à autre chose. Je ne donnerai pas dans le micmac des arrangements de Nello en mousquetaire, c'est insensé. Dumas m'en a écrit lui-même, je lui réponds.
Si les bourgeons t'amènent, ce sera bient?t, Dieu merci! car les voilà qui poussent. Il fait une chaleur écrasante dans le jour. Nous avons été hier, Solange, Nini et moi, dans le ravin du Magnier, tout le long du petit ruisseau. Nous étions en sueur comme en plein été. Bonsoir, mon enfant; je te bige mille fois.
CCCLXXV
A M. ARMAND BARBèS, A BELLE-ISLE EN MER
Nohant, 3 juin 1854.
Dans l'impossibilité de s'écrire à coeur ouvert, de se parler des choses de la vie et de la famille, on peut au moins s'envoyer un mot de temps en temps, et celui-ci est pour vous dire que mon affection est inaltérable, comme ma muette préoccupation incessante et fidèle.
J'ai de vos nouvelles de plusieurs c?tés, je sais que votre ame est inébranlable et votre coeur toujours calme et généreux. Je pense à vous quand je pense à Dieu, qui vous aime, c'est vous dire que j'y pense souvent.
GEORGE SAND.
CCCLXXVI
A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLéON (JéROME), A PARIS[1]
Nohant, 16 juillet 1854.
Mon cher prince,
Vous m'avez dit de vous écrire, je n'ose pas trop, vous devez avoir si peu le temps de lire! Mais voilà deux lignes pour vous dire que je vous aime toujours et que je pense à vous plus que vous ne pouvez penser à moi. C'est tout simple, vous agissez et nous regardons. Vous êtes dans la fièvre de la vie, et nous sommes dans le recueillement de l'attente.
On m'écrit de Belle-Isle, et vous devinez bien qui: ?On m'accuse de chauvinisme, parce que je fais des voeux pour que nos petits soldats entrent à Moscou et à Pétersbourg, et pour la mission que notre cher pays est toujours chargé de remplir dans le monde.?
Il y a là, dans les fers, une ame de héros qui prie comme moi tout na?vement, et avec qui je suis fière d'être d'accord.
Mais nous sommes malheureux comme les pierres, de ne rien savoir que par des journaux auxquels on ne peut se fier, et d'attendre souvent si longtemps des nouvelles contradictoires. Quoi qu'il arrive, je ne peux pas ne pas espérer. Je ne peux pas me persuader que les Russes nous battront jamais. Ni vous non plus, n'est-ce pas?
Mon fils me dit tous les jours que, si je n'étais pas une mère si _bête_, il aurait demandé à vous suivre. Mais, moi, je n'ai que ce fils-là, et comment ferais-je pour m'en passer?
Vous savez que nous avons un été abominable et que, si les pluies ne cessent pas, nous aurons la famine! Ah! nous voilà sautant sur des cordes bien tendues!
C'est vous autres qui en tenez le bout, là-bas. Quant à l'issue que vous souhaitez, la résurrection de la Pologne et de toutes les victimes dont on ne para?t pas s'occuper, elle viendra peut-être fatalement. Dieu est grand et Mahomet n'est pas son seul prophète.
Mais voilà plus de deux lignes. Pardon et adieu, chère Altesse impériale, toujours citoyen quand même et plus que jamais, puisque vous voilà soldat de la France. Comme tel, recevez tous les respects qui vous sont dus, sans préjudice de toute l'affection que je vous conserve pour vous-même.
GEORGE SAND.
[1] Re?ue au camp de Jeffalik, près Varna, le 5 ao?t 1854.
CCCLXXVII
A M. CHARLES PONCY, A TOULON
Nohant, 16 juillet 1854.
Ne soyez pas inquiet de moi, mon cher enfant. Je me porte assez bien, je travaille, je re?ois plusieurs amis; c'est l'époque où la maison se
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