Correspondance, 1812-1876 - Tome 2 | Page 5

George Sand
il l'a été tout ce temps et, par-dessus le marché, souvent et gravement indisposé; je m'étonne peu qu'il n'ait point eu le temps de vous écrire. Je lui ai lu votre lettre, que j'ai re?ue au moment de son départ. Il m'a dit qu'il vous écrirait de Bourges. Je crains qu'il ne soit malade; car, depuis dix jours, je devrais avoir de ses nouvelles et je n'en ai pas encore. Sa mauvaise santé m'inquiète et m'afflige beaucoup. Je l'ai soigné ici aussi bien que j'ai pu, et je l'ai vu bien souffrir. Nous avons parlé de vous tous les jours. Il vous dira, quand vous le reverrez, que je vous aime bien et que, de tous les amis qu'il m'a présentés, vous êtes celui pour lequel j'ai éprouvé le plus de sympathie. Quand vous reverrai-je? Je vais à la Chatre vers le 22 de ce mois-ci, et, vers le 30, je serai à Genève. Peut-être irai-je vous voir à Nevers si cela ne me détourne pas trop de ma route et n'augmente pas ma fatigue d'une manière trop exorbitante. Je serais si heureuse de conna?tre votre femme, votre enfant, votre patrie! Et le cap Sunium! nous avons fait de beaux rêves d'amitié, de repos, de bonheur! les réaliserons-nous?
écrivez-moi à la Chatre, poste restante, du 20 au 30. Adieu, bon frère. Embrassez votre femme pour moi; dites-lui que je suis un bon gar?on et que je suis bien heureuse de lui inspirer un peu de bienveillance. Peut-être m'accordera-t-elle de l'amitié si j'ai le bonheur de la conna?tre. On fait mon portrait de nouveau: je vous l'enverrai, ou je vous le porterai, ce qui me plairait bien mieux.
Tout à vous de coeur.
GEORGE.
[1] Michel (de Bourges).

CL
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Nohant, 18 ao?t 1836.
Chère maman,
J'allais partir pour Paris, au moment où mon fils est arrivé, tout seul comme un homme, et si impatient de me revoir, qu'il n'a pu prendre sur lui de rester un jour de plus à Paris pour vous embrasser. Cependant il en avait l'intention; car, d'après des reproches que je lui avais adressés à ce sujet, il m'écrivit, quelques jours avant son arrivée, une lettre que je vous envoie, et où vous verrez qu'il a de bons sentiments pour vous, malgré sa paresse ou son étourderie. Ce pauvre cher enfant est bien heureux d'être ici: il joue avec sa soeur et il respire le bon air de la campagne. Il n'a guère envie de retourner à Paris, et ce serait, je crois, les priver l'un et l'autre du meilleur temps de l'année que de les y ramener avant la fin des vacances. Je pense donc que je n'irai pas avant cette époque, et, en attendant, nous allons faire un petit voyage dans le Nivernais et dans l'Allier. Ils s'en font une grande fête et je suis bien heureuse de les voir heureux. Nous avons passé ces jours-ci à coller du papier dans mon cabinet de toilette; nous en avons fait une petite pièce charmante où Maurice installe ses joujoux, ses livres et ses crayons. Nous pensons à vous, à votre ardeur, et à votre habileté dans ces grands travaux, à votre bon go?t, et à votre passion pour planter des clous. Quant à moi, j'en ai un torticolis effroyable.
Je vous envoie une lettre pour Pierret. Engagez-le à me répondre le plus vite possible; car je pars à la fin du mois, pour ma petite tournée. Donnez-moi en même temps de vos nouvelles, et soignez-vous bien afin de ne m'en donner que de bonnes. Adieu, chère maman; je tombe de fatigue et m'endors en vous embrassant de toute mon ame, ce qui me donnera une bonne nuit, j'en réponds.
Maurice vous écrira directement; aujourd'hui, la lettre est assez grosse. Renvoyez-moi la lettre de Maurice, pour ne pas démembrer ma collection; ce sont mes trésors, j'aime mieux cela que tous les romans du monde.

CLI
A M. FRANZ LISZT, A GENèVE
Nohant, 18 ao?t 1836.
J'ai failli vous arriver le jour du concert. Qu'eussiez-vous dit, si, au milieu du grand morceau brillant de Puzzi-Primo, je fusse entrée avec mes guêtres crottées et mon sac de voyage, et si je lui eusse frappé sur l'épaule au point d'orgue?
Puzzi-Primo ne se f?t pas déconcerté, accoutumé qu'il est à braver insolemment les regards d'un public infatué de lui; voire d'un public de métaphysiciens, de Genevois. Mais Puzzi-Secondo, moins blasé sur le triomphe et moins certain de la douce bienveillance des demoiselles de seize ans, e?t fait une exclamation inconvenante, qui n'e?t pas été dans le ton du morceau.
J'aurais eu le plus grand plaisir du monde à vous faire manquer votre rentrée et à vous faire gacher et massacrer votre finale. J'aurais, la première, tiré un sifflet, un mirliton, une guimbarde de ma poche, et j'aurais donné au public de métaphysiciens le signal des huées. J'aurais dit: ?Messieurs, je suis
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