J'en
attends avec impatience, je suis si loin, si loin de vous et de tous les miens! Adieu, ma
chère maman. Maurice est gentil à croquer! Casimir se repose, dans ces courses dont je
vous parle, de celles qu'il a faites sans moi à Cauterets; il a été à la chasse sur les plus
hautes montagnes, il a tué des aigles, des perdrix blanches et des isards ou chamois, dont
il vous fera voir les dépouilles; pour moi, je vous porte du cristal de roche. Je vous
porterais du barège de Barèges même, s'il était un peu moins gros et moins laid.
Adieu, chère maman; je vous embrasse de tout mon coeur.
Veuillez, quand vous lui écrirez, embrasser mille fois ma soeur pour moi, lui dire que je
suis bien loin de l'oublier; que cette lettre que je vous écris et une à mon frère sont les
seules que j'aie eu le temps d'écrire aux Pyrénées, mais que, quand je serai à Guillery[2]
je lui écrirai tout de suite. Nous comptons y rester jusqu'au mois de janvier; de là, aller
passer le carnaval à Bordeaux, et enfin retourner avec le printemps à Nohant, où nous
vous attendrons avec ma tante.
[1] Cousin éloigné de George Sand. [2] Propriété du baron Dudevant, près de Nérac.
VII
A LA MÊME
Nohant, 25 février 1826.
Ma chère maman,
J'ai bien du malheur! Je vais à Paris précisément à l'époque où tout le monde y est, et ma
mauvaise étoile veut que je ne vous y trouve pas.
Je cours chez ma tante; pour y apprendre que vous êtes à Charleville. Je vous espère tous
les jours, mais je n'ai signe de vie qu'à mon retour ici, où je trouve enfin une lettre de
vous.
C'est une grande maladresse de ma part que d'aller, au bout de deux ans, passer quinze
jours à Paris et de ne pas vous y rencontrer. Mais il y avait si longtemps que je n'avais
reçu de vos nouvelles, que je vous croyais bien de retour chez vous. Caron même, chez
qui nous avons demeuré, vous croyait sa voisine. Enfin, j'ai joué de malheur, et me voilà
rentrée dans mon Berry, ne sachant plus quand j'en sortirai, ni quand j'aurai le bonheur de
vous embrasser.
Ma santé, à laquelle vous avez la bonté de porter tant d'intérêt, est meilleure que la
dernière fois que je vous écrivis; la preuve en est que j'ai eu la force de passer quatre
nuits dans le courrier, tant pour aller que pour venir sans être malade, ni à l'arrivée, ni au
retour. Sans ma mauvaise toux qui ne me laissait pas dormir, je me serais assez bien
portée.
Merci mille fois de vos bons avis à cet égard; mais ne me grondez pas de ne pas les avoir
suivis très exactement. Vous savez que je suis un peu incrédule, et puis un peu médecin
moi-même, non par théorie, mais par pratique. Je n'ai jamais vu de remèdes efficaces aux
maux de poitrine; la nature fait toutes les guérisons quand elle s'en mêle, et l'honneur en
est à l'Esculape, qui ne s'en est pas mêlé. Je sais bien que ces messieurs n'en conviendront
jamais. Comment un médecin avouerait-il sa nullité? ce ne serait pas adroit. S'ils faisaient,
comme moi, la médecine gratis, ils seraient de bonne foi; peut-être encore l'amour-propre
serait-il là pour les en empêcher.
Tant y a que, sans remède et sans docteur, sans me noyer l'estomac de boissons qui ne
vont pas dans la poitrine, je ne tousse plus; c'est l'important. J'ai bien toujours des
douleurs et par surcroît une fluxion de chaque côté du visage dans ce moment-ci. Mais le
printemps, s'il veut se dépêcher de venir, mettra ordre aux affaires.
Je vous dirai, chère maman, que, si vous étiez venue passer le carnaval ici, vous ne vous
seriez pas du tout ennuyée. Nous avons des bals charmants et nous passons des deux et
trois nuits par semaine à danser. Ce n'est pas ce qui me repose, ni même ce qui m'amuse
le mieux; mais il y a des obligations dans la vie qu'il faut prendre comme elles viennent.
Dernièrement nous sommes sortis d'un bal chez madame Duvernet[1] à neuf heures du
matin. N'êtes-vous pas émerveillée d'une dissipation pareille? Aussi le _jubilé_, traversé
par tant de fêtes, n'en finit-il pas. J'espère que, dans deux ou trois ans, nous n'en
entendrons plus parler. En attendant, le curé prêche tous les dimanches matin contre le
bal, et, tous les dimanches soir, on danse tant qu'on peut.
Quand je parle de curé grognon, vous entendez bien que ce n'est pas celui de
Saint-Chartier[2] que je veux dire. Tout au contraire: celui-là est si bon, que, s'il avait
quelque soixante ans de moins, je le ferais danser si je m'en mêlais.
Il est venu ici
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