Correspondance, 1812-1876 - Tome 1 | Page 4

George Sand
le roc avec une fureur et un bruit effrayant qu'on aurait pu prendre tant?t pour le travail de faux monnayeurs, tant?t pour les voix rauques et bruyantes des brigands. Ce bruit, qui part des entrailles de la terre, joint �� l'obscurit�� et �� tout ce que l'int��rieur d'une caverne a de sinistre, aurait pu glacer des coeurs moins aguerris que les n?tres.
Mais nous avions jou�� �� Gavarnie avec les cranes des templiers, nous avions pass�� sur le pont de neige quand nos guides nous criaient qu'il allait s'��crouler. La grotte du Loup n'��tait qu'un jeu d'enfant. Nous y passames pr��s d'une heure, et nous rev?nmes charg��s de fragments des pierres que nous avions lanc��es dans le gouffre. Ces pierres, que je vous montrerai, sont toutes remplies de parcelles de fer et de plomb qui brillent comme des paillettes.
En sortant de la grotte du Loup, nous entrames dans las Espeluches. Notre savant cousin, M. Defos[1], vous dira que ce nom patois vient du latin.
Nous trouvames l'entr��e de ces grottes admirable; j'��tais seule en avant, je fus ravie de me trouver dans une salle magnifique soutenue par d'��normes masses de rochers qu'on aurait pris pour des piliers d'architecture gothique, le plus beau pays du monde, le torrent d'un bleu d'azur, les prairies d'un vert ��clatant, un premier cercle de montagnes couvertes de bois ��pais, et un second, �� l'horizon, d'un bleu tendre qui se confondait avec le ciel, toute cette belle nature ��clair��e par le soleil couchant, vue du haut d'une montagne, au travers de ces noires arcades de rochers, derri��re moi la sombre ouverture des grottes: j'��tais transport��e.
Je parcourus ainsi deux ou trois de ces p��ristyles, communiquant les uns aux autres par des portiques cent fois plus imposants et plus majestueux que tout ce que feront les efforts des hommes.
Nos compagnons arriv��rent et nous nous enfon?ames encore dans les d��tours d'un labyrinthe ��troit et humide, nous aper??mes au-dessus de nos t��tes une salle magnifique, o�� notre guide ne se souciait gu��re de nous conduire. Nous le for?ames de nous mener �� ce second ��tage. Ces messieurs se d��chauss��rent et grimp��rent assez adroitement; pour moi, j'entrepris l'escalade.
Je passai sans frayeur sur le taillant d'un marbre glissant, au-dessous duquel ��tait une profonde excavation. Mais quand il fallut enjamber sur un trou que l'obscurit�� rendait tr��s effrayant, n'ayant aucun appui ni pour mes pieds, ni pour mes mains, glissant de tous c?t��s, je sentis mon courage chanceler. Je riais, mais j'avoue que j'avais peur. Mon mari m'attacha deux ou trois foulards autour du corps et me soutint ainsi pendant que les autres me tiraient par les mains. Je ne sais ce que devinrent mes jambes pendant ce temps-l��. Quand je fus en haut, je m'assurai que mes mains (dont je souffre encore) n'��taient pas rest��es dans les leurs, et je fus pay��e de mes efforts par l'admiration que j'��prouvai.
La descente ne fut pas moins p��rilleuse, et le guide nous dit, en sortant, qu'il avait depuis bien des ann��es conduit des ��trangers aux _Espeluches,_ mais qu'aucune femme n'avait gravi le second ��tage. Nous nous amusames beaucoup �� ses d��pens en lui reprochant de ne pas balayer assez souvent les appartements dont il avait l'inspection.
Nous rentrames �� Lourdes dans un ��tat de salet�� impossible �� d��crire; je remontai �� cheval avec mon mari, et, nos jeunes gens prenant la route de Bordeaux, nous pr?mes tous deux celle de Bagn��res. Nous e?mes, pendant dix lieues, une pluie �� verse et nous sommes rentr��s ici �� dix heures du soir, tremp��s jusqu'aux os et mourant de faim. Nous ne nous en portons que mieux aujourd'hui.
Nous sommes dans l'enchantement de deux chevaux arabes que nous avons achet��s, et qui seront les plus beaux que l'on ait jamais vus au bois de Boulogne.
Voil�� une lettre ��ternelle, ma ch��re maman; mais vous me demandez des d��tails et je vous ob��is avec d'autant plus de plaisir que je cause avec vous. Clotilde m'en demande aussi; mais je n'ai gu��re le temps de lui ��crire aujourd'hui, et demain recommencent mes courses. Veuillez l'embrasser pour moi, lui faire lire cette lettre si elle peut l'amuser, et lui dire que, dans huit �� dix jours, je serai chez mon beau-p��re et j'aurai le loisir de lui ��crire.
Adressez-moi donc de vos nouvelles chez lui, pr��s de N��rac (Lot-et-Garonne). J'en attends avec impatience, je suis si loin, si loin de vous et de tous les miens! Adieu, ma ch��re maman. Maurice est gentil �� croquer! Casimir se repose, dans ces courses dont je vous parle, de celles qu'il a faites sans moi �� Cauterets; il a ��t�� �� la chasse sur les plus hautes montagnes, il a tu�� des aigles, des perdrix blanches et des isards ou chamois, dont il vous fera voir les d��pouilles; pour moi, je vous porte du cristal de roche. Je vous porterais
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