Contes dune grand-mère

George Sand

Contes d'une grand-mère, by George Sand

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Title: Contes d'une grand-mère
Author: George Sand
Release Date: May 14, 2004 [EBook #12338] [Date last updated: September 20, 2004]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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CONTS D'UNE GRAND'MèRE
LE CHENE PARLANT
LE CHIEN ET LA FLEUR SACRéE L'ORGUE DU TITAN CE QUE DISENT LES FLEURS LE MARTEAU ROUGE LA FéE POUSSIèRE LE GNOME DES HUITRES LA FéE AUX GROS YEUX
PAR GEORGE SAND
1876
[Note du transcripteur: Ce text utilise l'orthographe du XIXe siècle: siège = siége, piège = piége, etc.]
CONTES D'UNE GRAND'MèRE
* * * * *
LE CHêNE PARLANT
A MADEMOISELLE BLANCHE AMIC
Il y avait autrefois en la forêt de Cernas un gros vieux chêne qui pouvait bien avoir cinq cents ans. La foudre l'avait frappé plusieurs fois, et il avait d? se faire une tête nouvelle, un peu écrasée, mais épaisse et verdoyante.
Longtemps ce chêne avait eu une mauvaise réputation. Les plus vieilles gens du village voisin disaient encore que, dans leur jeunesse, ce chêne parlait et mena?ait ceux qui voulaient se reposer sous son ombrage. Ils racontaient que deux voyageurs, y cherchant un abri, avaient été foudroyés. L'un d'eux était mort sur le coup; l'autre s'était éloigné à temps et n'avait été qu'étourdi, parce qu'il avait été averti par une voix qui lui criait:
--Va-t'en vite!
L'histoire était si ancienne qu'on n'y croyait plus guère, et, bien que cet arbre portat encore le nom de chêne parlant, les patours s'en approchaient sans trop de crainte. Pourtant le moment vint où il fut plus que jamais réputé sorcier après l'aventure d'Emmi.
Emmi était un pauvre petit gardeur de cochons, orphelin et très-malheureux, non-seulement parce qu'il était mal logé, mal nourri et mal vêtu, mais encore parce qu'il détestait les bêtes que la misère le for?ait à soigner. Il en avait peur, et ces animaux, qui sont plus fins qu'ils n'en ont l'air, sentaient bien qu'il n'était pas le ma?tre avec eux. Il s'en allait dès le matin, les conduisant à la glandée, dans la forêt. Le soir, il les ramenait à la ferme, et c'était pitié de le voir, couvert de méchants haillons, la tête nue, ses cheveux hérissés par le vent, sa pauvre petite figure pale, maigre, terreuse, l'air triste, effrayé, souffrant, chassant devant lui ce troupeau de bêtes criardes, au regard oblique, à la tête baissée, toujours mena?ante. A le voir ainsi courir à leur suite sur les sombres bruyères, dans la vapeur rouge du premier crépuscule, on e?t dit d'un follet des landes chassé par une rafale.
Il e?t pourtant été aimable et joli, ce pauvre petit porcher, s'il e?t été soigné, propre, heureux comme vous autres, mes chers enfants qui me lisez. Lui ne savait pas lire, il ne savait rien, et c'est tout au plus s'il savait parler assez pour demander le nécessaire, et, comme il était craintif, il ne le demandait pas toujours, c'était tant pis pour lui si on l'oubliait.
Un soir, les pourceaux rentrèrent tout seuls à l'étable, et le porcher ne parut pas à l'heure du souper. On n'y fit attention que quand la soupe aux raves fut mangée, et la fermière envoya un de ses gars pour appeler Emmi. Le gars revint dire qu'Emmi n'était ni à l'étable, ni dans le grenier, où il couchait sur la paille. On pensa qu'il était allé voir sa tante, qui demeurait aux environs, et on se coucha sans plus songer à lui.
Le lendemain matin, on alla chez la tante, et on s'étonna d'apprendre qu'Emmi n'avait point passé la nuit chez elle. Il n'avait pas reparu au village depuis la veille. On s'enquit de lui aux alentours, personne ne l'avait vu. On le chercha en vain dans la forêt. On pensa que les sangliers et les loups l'avaient mangé. Pourtant on ne retrouva ni sa sarclette--sorte de houlette à manche court dont se servent les porchers,--ni aucune loque de son pauvre vêtement; on en conclut qu'il avait quitté le pays pour vivre en vagabond, et le fermier dit que ce n'était pas un grand dommage, que l'enfant n'était bon à rien, n'aimant pas ses bêtes et n'ayant pas su s'en faire aimer.
Un nouveau porcher fut loué pour le reste de l'année, mais la disparition d'Emmi effrayait tous les gars du pays; la dernière fois qu'on l'avait vu, il allait du c?té du chêne parlant, et c'était là sans doute qu'il lui était arrivé malheur.
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