à pleins bras, il l'embrassa.
D'un bond elle fut debout criant: «Au secours», hurlant d'épouvante. Et
elle ouvrit la portière, elle agita ses bras dehors, folle de peur, essayant
de sauter, tandis que Morin éperdu, persuadé qu'elle allait se précipiter
sur la voie, la retenait par sa jupe en bégayant: «Madame... oh!...
madame.»
Le train ralentit sa marche, s'arrêta. Deux employés se précipitèrent aux
signaux désespérés de la jeune femme qui tomba dans leurs bras en
balbutiant: «Cet homme a voulu... a voulu... me... me...» Et elle
s'évanouit.
On était en gare de Mauzé. Le gendarme présent arrêta Morin.
Quand la victime de sa brutalité eut repris connaissance, elle fit sa
déclaration. L'autorité verbalisa. Et le pauvre mercier ne put regagner
son domicile que le soir, sous le coup d'une poursuite judiciaire pour
outrage aux bonnes moeurs dans un lieu public.
II
J'étais alors rédacteur en chef du nal des Charentes; et je voyais Morin,
chaque soir, au Café du commerce.
Dès le lendemain de son aventure, il vint me trouver, ne sachant que
faire. Je ne lui cachai pas mon opinion: «Tu n'es qu'un cochon. On ne
se conduit pas comme ça.»
Il pleurait; sa femme l'avait battu; et il voyait son commerce ruiné, son
nom dans la boue, déshonoré, ses amis, indignés, ne le saluant plus. Il
finit par me faire pitié, et j'appelai mon collaborateur Rivet, un petit
homme goguenard et de bon conseil, pour prendre ses avis.
Il m'engagea à voir le procureur impérial, qui était de mes amis. Je
renvoyai Morin chez lui et je me rendis chez ce magistrat.
J'appris que la femme outragée était une jeune fille, Mlle Henriette
Bonnel, qui venait de prendre à Paris ses brevets d'institutrice et qui,
n'ayant plus ni père ni mère, passait ses vacances chez son oncle et sa
tante, braves petits bourgeois de Mauzé.
Ce qui rendait grave la situation de Morin, c'est que l'oncle avait porté
plainte. Le ministère public consentait à laisser tomber l'affaire si cette
plainte était retirée. Voilà ce qu'il fallait obtenir.
Je retournai chez Morin. Je le trouvai dans son lit, malade d'émotion et
de chagrin. Sa femme, une grande gaillarde osseuse et barbue, le
maltraitait sans repos. Elle m'introduisit dans la chambre en me criant
par la figure: «Vous venez voir ce cochon de Morin? Tenez, le voilà, le
coco!»
Et elle se planta devant le lit, les poings sur les hanches. J'exposai la
situation; et il me supplia d'aller trouver la famille. La mission était
délicate; cependant je l'acceptai. Le pauvre diable ne cessait de répéter:
«Je t'assure que je ne l'ai pas même embrassée, non, pas même. Je te le
jure!»
Je répondis: «C'est égal, tu n'es qu'un cochon.» Et je pris mille francs
qu'il m'abandonna pour les employer comme je le jugerais convenable.
Mais comme je ne tenais pas à m'aventurer seul dans la maison des
parents, je priai Rivet de m'accompagner. Il y consentit, à la condition
qu'on partirait immédiatement, car il avait, le lendemain dans
l'après-midi, une affaire urgente à la Rochelle.
Et, deux heures plus tard, nous sonnions à la porte d'une jolie maison
de campagne. Une belle jeune fille vint nous ouvrir. C'était elle
assurément. Je dis tout bas à Rivet: «Sacrebleu, je commence à
comprendre Morin.»
L'oncle, M. Tonnelet, était justement un abonné du Fanal, un fervent
coreligionnaire politique qui nous reçut à bras ouverts, nous félicita,
nous congratula, nous serra les mains, enthousiasmé d'avoir chez lui les
deux rédacteurs de son journal. Rivet me souffla dans l'oreille: «Je crois
que nous pourrons arranger l'affaire de ce cochon de Morin.»
La nièce s'était éloignée; et j'abordai la question délicate. J'agitai le
spectre du scandale; je fis valoir la dépréciation inévitable que subirait
la jeune personne après le bruit d'une pareille affaire; car on ne croirait
jamais à un simple baiser.
Le bonhomme semblait indécis; mais il ne pouvait rien décider sans sa
femme qui ne rentrerait que tard dans la soirée. Tout à coup il poussa
un cri de triomphe: «Tenez, j'ai une idée excellente. Je vous tiens, je
vous garde. Vous allez dîner et coucher ici tous les deux; et, quand ma
femme sera revenue, j'espère que nous nous entendrons.»
Rivet résistait; mais le désir de tirer d'affaire ce cochon de Morin le
décida; et nous acceptâmes l'invitation.
L'oncle se leva, radieux, appela sa nièce, et nous proposa une
promenade dans sa propriété en proclamant: «A ce soir les affaires
sérieuses.»
Rivet et lui se mirent à parler politique. Quant à moi, je me trouvai
bientôt à quelques pas en arrière, à côté de la jeune fille. Elle était
vraiment charmante, charmante!
Avec des précautions infinies, je commençai à lui parler de son
aventure pour tâcher de m'en faire une alliée.
Mais elle ne parut pas confuse le moins du monde; elle
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