voulez-vous? J'ai eu peur; et, quand on a peur, on ne raisonne plus. Après avoir compris la situation, j'ai bien regretté mes cris; mais il était trop tard. Songez aussi que cet imbécile s'est jeté sur moi comme un furieux, sans prononcer un mot, avec une figure de fou. Je ne savais même pas ce qu'il me voulait.?
Elle me regardait en face, sans être troublée ou intimidée. Je me disais: ?Mais c'est une gaillarde, cette fille. Je comprends que ce cochon de Morin se soit trompé.
Je repris, en badinant: ?Voyons Mademoiselle, avouez qu'il était excusable, car, enfin, on ne peut pas se trouver en face d'une aussi belle personne que vous sans éprouver le désir absolument légitime de l'embrasser.?
Elle rit plus fort, toutes les dents au vent: ?Entre le désir et l'action, monsieur, il y a place pour le respect.?
La phrase était dr?le, bien que peu claire. Je demandai brusquement: ?Eh bien, voyons, si je vous embrassais, moi, maintenant; qu'est-ce que vous feriez??
Elle s'arrêta pour me considérer du haut en bas, puis elle dit, tranquillement: ?Oh, vous, ce n'est pas la même chose.?
Je le savais bien, parbleu, que ce n'était pas la même chose, puisqu'on m'appelait dans toute la province ?le beau Labarbe?. J'avais trente ans, alors, mais je demandai: ?Pourquoi ?a??
Elle haussa les épaules, et répondit: ?Tiens! parce que vous n'êtes pas aussi bête que lui.? Puis elle ajouta, en me regardant en dessous: ?Ni aussi laid.?
Avant qu'elle e?t pu faire un mouvement pour m'éviter, je lui avais planté un bon baiser sur la joue. Elle sauta de c?té, mais trop tard. Puis elle dit: ?Eh bien vous n'êtes pas gêné non plus, vous. Mais ne recommencez pas ce jeu-là.?
Je pris un air humble et je dis à mi-voix: ?Oh! mademoiselle, quant à moi, si j'ai un désir au coeur, c'est de passer devant un tribunal pour la même cause que Morin.?
Elle demanda à son tour: ?Pourquoi ?a?? Je la regardai au fond des yeux sérieusement. ?Parce que vous êtes une des plus belles créatures qui soient; parce que ce serait pour moi un brevet, un titre, une gloire, que d'avoir voulu vous violenter. Parce qu'on dirait après vous avoir vue: ?Tiens, Labarbe n'a pas volé ce qui lui arrive, mais il a de la chance tout de même.?
Elle se remit à rire de tout son coeur.
?êtes-vous dr?le?? Elle n'avait pas fini le mot ?dr?le? que je la tenais à pleins bras et je lui jetais des baisers voraces partout où je trouvais une place, dans les cheveux, sur le front, sur les yeux, sur la bouche parfois, sur les joues, par toute la tête, dont elle découvrait toujours malgré elle un coin pour garantir les autres.
A la fin, elle se dégagea, rouge et blessée. ?Vous êtes un grossier, monsieur, et vous me faites repentir de vous avoir écouté.?
Je lui saisis la main, un peu confus, balbutiant: ?Pardon, pardon, mademoiselle. Je vous ai blessée; j'ai été brutal! Ne m'en voulez pas. Si vous saviez?...? Je cherchais vainement une excuse.
Elle pronon?a, au bout d'un moment: ?Je n'ai rien à savoir, monsieur.?
Mais j'avais trouvé; je m'écriai: ?Mademoiselle, voici un an que je vous aime!?
Elle fut vraiment surprise et releva les yeux. Je repris: ?Oui, mademoiselle, écoutez-moi. Je ne connais pas Morin et je me moque bien de lui. Peu m'importe qu'il aille en prison et devant les tribunaux. Je vous ai vue ici l'an passé, vous étiez là-bas, devant la grille. J'ai re?u une secousse en vous apercevant et votre image ne m'a plus quitté. Croyez-moi, ou ne me croyez pas, peu m'importe. Je vous ai trouvée adorable; votre souvenir me possédait; j'ai voulu vous revoir; j'ai saisi le prétexte de cette bête de Morin; et me voici. Les circonstances m'ont fait passer les bornes; pardonnez-moi, je vous en supplie, pardonnez-moi.?
Elle guettait la vérité dans mon regard, prête à sourire de nouveau; et elle murmura: ?Blagueur.?
Je levai la main, et, d'un ton sincère (je crois même que j'étais sincère): ?Je vous jure que je ne mens pas.?
Elle dit simplement: ?Allons donc.?
Nous étions seuls, tout seuls, Rivet et l'oncle ayant disparu dans les allées tournantes; et je lui fis une vraie déclaration, longue, douce, en lui pressant et lui baisant les doigts. Elle écoutait cela comme une chose agréable et nouvelle, sans bien savoir ce qu'elle en devait croire.
Je finissais par me sentir troublé; par penser ce que je disais; j'étais pale, oppressé, frissonnant; et, doucement, je lui pris la taille.
Je lui parlais tout bas dans les petits cheveux frisés de l'oreille. Elle semblait morte tant elle restait rêveuse.
Puis sa main rencontra la mienne et la serra; je pressai lentement sa taille d'une étreinte tremblante et toujours grandissante; elle ne remuait plus du tout; j'effleurais sa joue de ma bouche; et tout à coup mes lèvres, sans chercher, trouvèrent les siennes. Ce
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