Contes choisis de la famille | Page 3

Les frères Grimm
abandonna sa besogne, et, la hache sous le bras, s'empressa de courir vers l'endroit d'où partaient les sons.
--Voilà donc enfin le compagnon qu'il me faut! dit le musicien; car je cherchais un homme et non des bêtes sauvages.
Puis il se remit à jouer d'une fa?on si harmonieuse et si magique, que le pauvre homme resta là immobile comme sous l'empire d'un charme, et que son coeur déborda de joie. C'est en ce moment qu'arrivèrent le loup, le renard et le levraut. Le b?cheron n'eut pas de peine à remarquer que ses camarades n'avaient pas les meilleures intentions. En conséquence, il saisit sa hache brillante et se pla?a devant le musicien, d'un air qui voulait dire:
--Celui qui en veut au ménétrier fera bien de se tenir sur ses gardes, car il aura affaire à moi.
Aussi la peur s'empara-t-elle des animaux conjurés, qui retournèrent en courant dans la forêt. Le musicien témoigna sa reconnaissance au b?cheron en lui jouant encore un air mélodieux, puis il s'éloigna.

LE RENARD ET LES OIES.
Un jour qu'il r?dait selon sa coutume, ma?tre renard arriva dans une prairie où une troupe de belles oies bien grasses se prélassait au soleil.
A cette vue, notre chercheur d'aventures poussa un éclat de rire effrayant, et s'écria:
--En vérité, je ne pouvais venir plus à propos! vous voilà alignées d'une fa?on si commode, que je n'aurai guère besoin de me déranger pour vous croquer l'une après l'autre.
A ces mots, les oies épouvantées poussèrent des cris lamentables et supplièrent le renard de vouloir bien se laisser toucher et de ne point leur ?ter la vie.
Elles eurent beau dire et beau faire, ma?tre renard resta inébranlable.
--Il n'y a pas de grace possible, répondit-il, votre dernière heure a sonné.
Cet arrêt cruel donna de l'esprit à l'une des oies qui, prenant la parole au nom de la troupe:
--Puisqu'il nous faut, dit-elle, renoncer aux douces voluptés des prés et des eaux, soyez assez généreux pour nous accorder la dernière faveur qu'on ne refuse jamais à ceux qui doivent mourir; promettez de ne nous ?ter la vie que lorsque nous aurons achevé notre prière; ce devoir accompli, nous nous mettrons sur une ligne, de fa?on à ce que vous puissiez dévorer successivement les plus grasses d'entre nous.
--J'y consens, répondit le renard; votre demande est trop juste pour n'être point accueillie: commencez donc votre prière; j'attendrai qu'elle soit finie.
Aussit?t, une des oies entonna une interminable prière, un peu monotone à la vérité, car elle ne cessait de dire: caa-caa-caa. Et comme, dans son zèle, la pauvre bête ne s'interrompait jamais, la seconde oie entonna le même refrain, puis la troisième, puis la quatrième, puis enfin toute la troupe, de sorte qu'il n'y eut bient?t plus qu'un concert de caa-caa-caa!
Et ma?tre renard qui avait donné sa parole, dut attendre qu'elles eussent fini leur caquetage.
Nous devrons faire comme lui pour conna?tre la suite de ce conte. Par malheur, les oies caquettent encore toujours, d'où je conclus qu'elles ne sont pas aussi bêtes qu'on veut bien le dire.

LE RENARD ET LE CHAT.
Un jour le chat rencontra messire le renard au fond d'un bois, et comme il le connaissait pour un personnage adroit, expérimenté, et fort en crédit dans le monde, il l'aborda avec une grande politesse:
--Bonjour, monsieur le renard, lui dit-il; comment vous portez-vous? êtes-vous content de vos affaires? comment faites-vous dans ce temps de disette?
Le renard, tout gonflé d'orgueil, toisa de la tête aux pieds le pauvre chat, et sembla se demander pendant quelques instants s'il daignerait l'honorer d'une réponse. Il s'y décida pourtant à la fin:
--Pauvre hère que tu es! répliqua-t-il d'un ton de mépris, misérable meurt-de-faim, infime et ridicule chasseur de souris, d'où te vient aujourd'hui tant d'audace? Tu oses te faire l'honneur de me demander comment je me porte? Mais pour te permettre de me questionner, quelles sont donc les connaissances que tu possèdes? de combien d'arts connais-tu les secrets?
--Je n'en connais qu'un seul, répondit le chat d'un air modeste et confus.
--Et quel est cet art? demanda le renard avec arrogance.
--Quand les chiens sont à ma poursuite, repartit le chat, je sais leur échapper en grimpant sur un arbre.
--Est-ce là tout? reprit le renard. Moi, je suis passé docteur en cent arts divers; mais ce n'est rien encore: je possède en outre un sac tout rempli de ruses. En vérité, j'ai compassion de toi; suis-moi, et je t'apprendrai comment on échappe aux chiens.
Comme il achevait ces mots, un chasseur, précédé de quatre dogues vigoureux, parut au bout du sentier. Le chat s'empressa de sauter sur un arbre, et alla se fourrer dans les branches les plus touffues, si bien qu'il était entièrement caché.
Hatez-vous de délier votre sac! hatez-vous d'ouvrir votre sac! cria-t-il au renard.
Mais déjà les chiens s'étaient précipités sur ce dernier, et le tenaient entre leurs crocs.
--Eh! monsieur le renard, cria de nouveau le chat, vous voilà bien
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