Contes à la brune | Page 8

Armand Silvestre
aux maisons où l'on pleure aujourd'hui les absents de la dernière guerre. L'enfant a grandi, intelligent et vigoureux, portant en lui l'immense espoir de tous. Il avait co?té cher à faire ainsi, mais il était celui qui devait s'envoler plus haut que les autres du même nom et rapporter, un jour, dans l'arche, un brin de laurier. Il était l'orgueil futur et la consolation certaine. Quand le devoir viril de servir son pays est venu à lui, il l'avait accueilli comme un ami et il était parti promettant de revenir. Qui raillera maintenant les pressentiments des mères? C'est dans le vacarme de la poudre qu'il a rencontré l'éternel silence. C'est la mort anonyme que crache au hasard la gueule des canons qui lui a mis au front le froid du dernier baiser. Est-ce l'ongle subtil des bêtes de proie ou la pointe d'une pique ennemie qui, le retournant sur le sable ensanglanté, donnera à sa face l'adieu de la lumière? Tandis que les clairons se taisent dans l'éloignement de la retraite, son dernier souffle s'exhale et va rejoindre dans le ciel la clameur des cuivres rassemblant les courages prêts à de nouveaux combats. Celui-là ne reverra plus le doux toit où il avait été comme l'oiseau tremblant que rassurent les maternelles caresses, le doux toit dont il s'était trouvé l'h?te en naissant et où les choses elles-mêmes semblaient l'aimer!
Et lui donc! n'avait-il pas rêvé, à son tour, la demeure tranquille où il amènerait un jour la jeune épouse toute blanche? La porte n'était-elle pas ouverte déjà, perdue dans un échevèlement de glycine, donnant sur le jardin où les causeries seraient si douces à la clarté amie des étoiles, sous l'odeur fragile des lilas? Ne savait-il pas déjà la place du banc de pierre où les confidences meurent dans l'imperceptible bruissement des mousses froissées quand s'allument doux projets morts dans leur germe! Maison vide et rêve sans asile!
Nid sans oeufs! oeufs sans nid!
* * * * *
Vous rappelez-vous, mon amour, la place que nous avions choisie pour nous aimer bien longtemps quand le printemps viendrait, après l'hiver qui nous fut si doux et qui devait contenir toutes nos tendresses? C'est en marchant dans la neige qui craquait délicieusement sous vos petits pieds, le long du bois désolé et sous un ciel froid où le soleil pale, et las de lutter, soufflait à peine quelques vapeurs de cuivre que nous parlions, votre bras tenant de très près le mien, du renouveau des choses fêtant le renouveau de notre bonheur. Au lieu de la fourrure frileuse qui vous enveloppait cependant si bien, vous porteriez une toilette très légère et je verrais vos jolis bras sous les transparences nacrées de l'étoffe. Nous nous arrêterions longtemps sous ce toit rustique dont les murs porteraient des capucines en fleur parmi les lierres. Et vos baisers après avoir été le foyer où nos ames croisaient leurs étincelles, seraient devenus la fra?cheur des sources où elles seraient venues boire ensemble.
Avril est venu trop tard pour nous trouver encore amis. Les calendriers se moquent bien de nos misères.
Et vous,--comme le temps fuit!--qui f?tes ma compagne d'une nuit seulement; d'une nuit chaste mais pleine de désirs, dans l'emportement du train qui nous emmenait l'un et l'autre pour nous séparer à l'arrivée; d'une nuit trop courte où ne s'échangèrent que des paroles presque banales, mais où tous deux nous sentions déjà l'enlacement délicieux des cha?nes qui allaient se briser, croyez-vous que j'aie oublié les rêves absurdement exquis que je sentais en vous aussi bien qu'en moi et qui me reviennent parfois sur des ailes d'espérance?
Nos vaines tendresses sont souvent comme des voyageurs sans g?te. Des bonheurs ignorés nous attendent là où ne nous mènera jamais notre chemin.
Nids sans oeufs! oeufs sans nid! La triste chose!
[Illustration]
[Illustration]

AU SALON
Nous cheminions, celle que j'aime et moi, dans les grandes salles, les yeux déjà un peu perdus de peinture, dans cette griserie vague de couleurs qui vient d'une orgie de tableaux et qui ne permet guère, à nos Expositions annuelles, les patientes études. Autour de nous la foule grouillait, et l'on e?t dit que, nouvelle Pandore, M. Prudhomme avait ouvert sa bo?te mystérieuse, tant il se disait de sottises et d'hérésies autour de nous. Les admirations écoeurantes allaient aux succès faciles. Je vous recommande le go?t des jeunes filles du monde en peinture. Nous marchions, déjà lassés, dans ce bouhaha de dessus de palettes et de paroles inutiles, dans le mouvement banal d'art qui est devenu une fabrication, et dans ce mouvement banal d'esprit qui s'exerce à la critique sans rien savoir. Car tout le monde tente et tout le monde juge aujourd'hui, ce qui ne laisse à personne le temps d'apprendre. Infidèle à mon bras, la promeneuse que j'avais conduite laissait errer un regard distrait par delà les cimaises, vers les sommets où s'en vont
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