lui donna
un goût immodéré des femmes durant toute sa vie. Tandis que moi!... O
saint Armand, qu'on surappelait le chaste dans toute la province, quelle
injustice on nous fait à tous deux!
* * * * *
L'impunité dont ont joui jusqu'ici les jeunes gens qui achèvent
volontiers une nuit de plaisir en coupant la gorge à la femme qui la leur
a procurée porte ses fruits. Les femmes galantes que Vacquerie,
longtemps avant l'invention des horizontales et des agenouillées,
appelait galamment des universelles et le pauvre Philoxène Boyer des
conciliantes (avouez que le mot était joli et bien trouvé) vivent
maintenant sous un véritable couteau de Damoclès. Leur sommeil
coupable est peuplé de cauchemars sanglants. La vertu profitera, je
l'espère, de celle terreur, et le dégoût viendra à beaucoup de ces dames
d'une carrière qui n'avait eu jusqu'ici que des fleurs. C'est un bien pour
un mal. Seulement, je trouve que les messieurs qui ont entrepris cette
morale en action vont un peu loin. Ils ne se contentent plus de décapiter
leur bonne amie d'une nuit, pour emporter le chapelet de ses salaires
honteux; ils massacrent en même temps ses domestiques et les enfants
de ceux-ci. Si on les laisse faire, il extermineront, par la même occasion,
toute la maison. Car, soyez certains que si, au devant de l'homme que la
police cherche partout où il n'est pas, avec le flair de ses fins limiers, le
concierge de la maison où s'est commis le crime et toute sa famille, ou
quelque imprudent locataire s'était présenté au moment de sa fuite, il
n'eût pas hésité davantage à leur trancher le chef. J'en conclus que les
immeubles où ces dames loueront des appartements deviendront
dangereux à leurs voisins. Il y a là une question de risques locatifs, au
moins aussi considérable que pour l'incendie et qui donnera à réfléchir
aux gens prudents. Nos aïeux étaient plus sages qui ne laissaient pas
«divaguer», comme disent les maires de village en parlant, dans leurs
affiches, des chiens errants, les personnes faisant le métier de ramener
chez elles les voyageurs, les rufians et les rôdeurs de nuit, mais leur
prescrivaient de vivre entre elles et comme cloîtrées dans de profanes
couvents où habitait la félicité antique. Hic habitat félicitas. La mode
de ces maisons de retraite se perd de plus en plus, et c'est grand
dommage pour la dignité des rues et des boulevards, et j'ajouterai pour
le plaisir des gens raisonnables. Car il eût suffi d'un peu d'imagination
et de luxe oriental pour en faire la réalisation du Paradis de Mahomet
sur la terre. Le ruisseau dans lequel elles se sont vidées a été comme
une terre grasse et féconde pour le vice qui y a pullulé. Ah! comme les
Romains et les gens d'Herculanum étaient d'autres artistes et d'autres
philosophes que nous! Aujourd'hui c'est pour protéger les jours (non!
les nuits) de ces pauvres filles, de leurs gens et de leurs colocataires,
que je supplie le gouvernement de les enfermer à nouveau. Elles ne
chômeront pas, pour cela, de visites, vous pouvez être tranquilles; mais
ceux qui les viendront voir ne le feront pas dans l'intention de les
assassiner. Ce sera toujours un progrès.
* * * * *
Que l'homme s'exagère volontiers ses maux, et comme il se plaindrait
moins de sa destinée, s'il considérait plus souvent les sorts pires que le
sien et que d'autres ont subis avant lui! L'étude de l'histoire ne devrait
nous servir qu'à connaître ces exemples monstrueux de déveine, chez
certains héros, qui font dire aux gens raisonnables: «Enfin! en voilà un
qui était plus malheureux que moi!» Ce serait une excellente leçon de
philosophie résignée, puisqu'il est entendu que, par une sage
ordonnance de la Providence, nous sommes tous destinés à souffrir plus
ou moins, et qu'il est logique de mesurer nos cris et nos révoltes à la
part d'ennuis qui nous est faite.
Cette réflexion mélancolique me vient du bruit que font messieurs les
bookmakers à propos de la mesure peu bienveillante, j'en conviens,
dont ils viennent d'être l'objet. Il faut les voir, dans la banlieue, que
presque tous habitent, exhaler leur colère le long du fleuve, comme les
Hébreux à Babylone ou comme les damnés au bord du Styx. Le grand
gémissement entendu dans Rhama n'était qu'une musiquette de quatre
sous auprès de la douloureuse symphonie dont ils régalent les oreilles.
A les entendre, tout est perdu pour la paix publique, et ils renverseront
le gouvernement. C'est comme si c'était déjà fait! Ceux-ci geignent et
ceux-là clament; tous vocifèrent et se démènent. On a osé toucher à un
des corps les plus respectables de l'État moderne et secouer, dans leur
personne, les assises de la société!... Que leur a-t-on fait pourtant, bon
Dieu! Retiré tout simplement un inerte morceau de bois qui, ne leur
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