Contes à la brune | Page 4

Armand Silvestre

servait qu'à ficher en terre pour faciliter leurs opérations.
On affirmait, dans mon village, que plusieurs s'étaient tués de désespoir.
Eh bien, si, dans les champs Élyséens d'un monde meilleur, leurs
ombres toujours gémissantes rencontrent l'ombre éternellement
mélancolique d'Abélard et que le grand érudit entende le sujet de leur
plainte, quel ironique sourire sur ses lèvres où le nom sacré d'Héloïse
brûle encore, et quel regard de dédain dans ses yeux abaissés!
* * * * *
--C'est le Printemps! vous dis-je, ma chère! C'est le Printemps!
Et vous vous repeletonnez, frileuse, au coin du feu clair et ronflant,
comme une chatte, le dos sous votre belle chevelure dénouée, les
coudes sur les genoux et les mains ramenées vers la flamme qui fait
courir, dans leur transparence délicate, de délicieux petits reflets roses.
Et je vous répète:
--C'est aujourd'hui le Printemps, mignonne! ne m'entendez-vous pas?
Alors vous fermez les yeux, sans toujours me répondre, et j'imagine
que mes paroles vous frappent l'oreille sans aller plus loin, comme un
son indécis, comme une romance lointaine dont les mots échappent et
dont l'air seul parvient jusqu'à vous, vague et mêlé dans le vent. Mais
ces mélodies inconsciemment perçues ont le don d'évoquer les visions
et les souvenirs. Vous fermez les yeux et c'est certainement pour vous
recueillir dans le rêve des verdures renaissantes, des violettes bordant
les chemins, des brises pleines d'odeurs vivaces et douces, des longues
promenades sous le soleil tiède déjà, de toutes les splendeurs en
boutons dont la Nature devait être parée aujourd'hui, si mon almanach
n'avait effrontément menti! Vous ne rêvez pas tant que cela, mon âme.
Le Printemps n'est-il pas dans cette chambre chaude et pleine de fleurs

où vous aimez à vivre en hiver? Le Printemps n'est-il pas partout où
vous êtes? Et ne pouvons-nous pas chanter là comme dans les bois, et
chaque jour, tant notre joie s'y renouvelle:
C'est la première du Printemps Au théâtre de la Nature!
[Illustration]
[Illustration]

MIMOSAS
Comment ne pas songer qu'ils viennent de là-bas où la terreur et
l'effarement ont marqué la fin des jours de gaieté carnavalesque, ces
beaux panaches de mimosas que les petites charrettes parisiennes
promènent et qui semblent verser une pluie d'or sur les roses alanguies
des marchandes ambulantes? Que la Nature est indifférente à nos
misères! Tandis que la fourmillière humaine s'éparpillait affolée,
croyant encore sentir le sol s'ouvrir sous ses pas, les fleurs, tranquilles,
s'épanouissaient dans la sérénité du matin, sous cette première
blancheur de l'aube qui est comme le sourire d'argent du ciel.
La mythologie grecque, qui savait si bien mêler aux fables grandioses
les plus exquises imaginations, n'avait pas dédaigné de chercher une
légende aux fleurs. Rappelez-vous celle d'Hyacinthe; Ainsi au Japon,
dont je vous ai dit, un jour, le joli poème des lilas. L'Orient est plein de
ces traditions charmantes. Je les regrette vivement, ma chère, et
constate l'infériorité de notre imagination à ce sujet. Ce n'est pas assez
pour moi de comparer sans cesse les lys à vos doigts et les roses à votre
bouche. Tous les madrigaux d'autrefois n'étaient pleins que de ces
choses-là. Et puis ce n'est ni vrai ni vraiment flatteur. Les lys n'ont pas
les jolis reflets d'azur qui courent sous le satin blanc de votre main, et
vos lèvres ont des parfums vivants que n'ont jamais eus les roses. Il
faudrait en finir avec ces continuelles comparaisons qui, si belles que
soient les fleurs, sont encore à l'humiliation de la femme. Je voudrais
faire mieux et plus digne de vous que cela dans une mythologie

nouvelle. Tout est symbolique autour de nous. Mais, entre toutes
choses, les fleurs dont les plus humbles, suffisamment contemplées,
évoquent mille images diverses, comme vous le savez bien, vous qui
passez des heures entières en contemplation devant un myosotis.
Voilà ce que j'ai rêvé, moi, il y a quelques jours devant une branche de
mimosa.
* * * * *
La Méditerranée et son bleu manteau couchés sous le ciel, par un soir
d'été plein de l'odeur des lauriers-roses, et, dans une île aujourd'hui
disparue,--car je parle d'un temps lointain et inutile à préciser,
puisqu'on a aimé toujours,--deux amants goûtant l'extase de cette heure
mystérieuse où s'ouvre le jardin des étoiles. L'île est proche de la terre,
et la solitude en semble faite pour le mutuel enchantement de leurs
âmes. Vous souvient-il que nous avons souvent rêvé d'une thébaïde
pareille, où rien ne nous atteindrait des clameurs lointaines et des
banales gaietés? Ils marchent sur le rivage, les mains unies. Je les vois
si bien que je pourrais vous dire maintenant vers quel siècle lointain ils
ont vécu. Ils portent la blanche tunique grecque. Elle a, comme vous,
de longs cheveux noirs qui sont comme une nuit répandue sur la double
colline de neige de ses épaules; comme vous, elle
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