jusqu'au village voisin o�� ils l'aid��rent �� faire son march�� pour un modeste voiturin. Apr��s qu'ils l'eurent fait manger et qu'ils lui eurent procur�� quelques effets, d��pense prise sur le reste de leur petite fortune, ils embarqu��rent l'heureuse cr��ature qu'ils venaient de rendre �� la vie. Alors Consuelo demanda en riant ce qui restait au fond de la bourse. Joseph prit son violon, le secoua aupr��s de son oreille, et r��pondit:
?Rien que du son!?
Consuelo essaya sa voix en pleine campagne, par une brillante roulade, et s'��cria:
?Il reste beaucoup de son!?
Puis elle tendit joyeusement la main �� son confr��re, et la serra avec effusion, en lui disant:
?Tu es un brave gar?on, Beppo!
--Et toi aussi!? r��pondit Joseph en essuyant une larme et en faisant un grand ��clat de rire.
LXXV.
Il n'est pas fort inqui��tant de se trouver sans argent quand on touche au terme d'un voyage; mais eussent-ils ��t�� encore bien loin de leur but, nos jeunes artistes ne se seraient pas sentis moins gais qu'ils ne le furent lorsqu'ils se virent tout �� fait �� sec. Il faut s'��tre trouv�� ainsi sans ressources en pays inconnu (Joseph ��tait presque aussi ��tranger que Consuelo �� cette distance de Vienne) pour savoir quelle s��curit�� merveilleuse, quel g��nie inventif et entreprenant se r��v��lent comme par magie �� l'artiste qui vient de d��penser son dernier sou. Jusque-l��, c'est une sorte d'agonie, une crainte continuelle de manquer, une noire appr��hension de souffrances, d'embarras et d'humiliations qui s'��vanouissent d��s que la derni��re pi��ce de monnaie a sonn��. Alors, pour les ames po��tiques, il y a un monde nouveau qui commence, une sainte confiance en la charit�� d'autrui, beaucoup d'illusions charmantes; mais aussi une aptitude au travail et une disposition �� l'am��nit�� qui font ais��ment triompher des premiers obstacles. Consuelo, qui portait dans ce retour �� l'indigence de ses premiers ans un sentiment de plaisir romanesque, et qui se sentait heureuse d'avoir fait le bien en se d��pouillant, trouva tout de suite un exp��dient pour assurer le repas et le g?te du soir.
?C'est aujourd'hui dimanche, dit-elle �� Joseph; tu vas jouer des airs de danse en traversant la premi��re ville que nous rencontrerons. Nous ne ferons pas deux rues sans trouver des gens qui auront envie de danser, et nous ferons les m��n��triers. Est-ce que tu ne sais pas faire un pipeau? J'aurais bient?t appris �� m'en servir, et pourvu que j'en tire quelques sons, ce sera assez pour t'accompagner.
--Si je sais faire un pipeau! s'��cria Joseph; vous allez voir!?
On eut bient?t trouv�� au bord de la rivi��re une belle tige de roseau, qui fut perc��e industrieusement, et qui r��sonna �� merveille. L'accord parfait fut obtenu, la r��p��tition suivit, et nos gens s'en all��rent bien tranquilles jusqu'�� un petit hameau �� trois milles de distance o�� ils firent leur entr��e au son de leurs instruments, et en criant devant chaque porte: ?Qui veut danser? Qui veut sauter? Voil�� la musique, voil�� le bal qui commence!?
Ils arriv��rent sur une petite place plant��e de beaux arbres: ils ��taient escort��s d'une quarantaine d'enfants qui les suivaient au pas de marche, en criant et en battant des mains. Bient?t de joyeux couples vinrent enlever la premi��re poussi��re en ouvrant la danse; et avant que le sol f?t battu, toute la population se rassembla, et fit cercle autour d'un bal champ��tre improvis�� sans h��sitation et sans conditions. Apr��s les premi��res valses, Joseph mit son violon sous son bras, et Consuelo, montant sur sa chaise, fit un discours aux assistants pour leur prouver que des artistes �� jeun avaient les doigts mous et l'haleine courte. Cinq minutes apr��s, ils avaient �� discr��tion pain, laitage, bi��re et gateaux. Quant au salaire, on fut bient?t d'accord: on devait faire une collecte o�� chacun donnerait ce qu'il voudrait.
Apr��s avoir mang��, ils remont��rent donc sur un tonneau qu'on roula triomphalement au milieu de la place, et les danses recommenc��rent; mais au bout de deux heures, elles furent interrompues par une nouvelle qui mit tout le monde en ��moi, et arriva, de bouche en bouche, jusqu'aux m��n��triers; le cordonnier de l'endroit, en achevant �� la hate une paire de souliers pour une pratique exigeante, venait de se planter son al��ne dans le pouce.
?C'est un ��v��nement grave, un grand malheur! Leur dit un vieillard appuy�� contre le tonneau qui leur servait de pi��destal. C'est Gottlieb, le cordonnier, qui est l'organiste de notre village; et c'est justement demain notre f��te patronale. Oh! la grande f��te, la belle f��te! Il ne s'en fait pas de pareille �� dix lieues �� la ronde. Notre messe surtout est une merveille, et l'on vient de bien loin pour l'entendre. Gottlieb est un vrai ma?tre de chapelle: il tient l'orgue, il fait chanter les enfants, il chante lui-m��me; que ne fait-il pas, surtout ce jour-l��? Il se met en quatre; sans lui, tout est perdu. Et que
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