répétition de ses grandes vêpres en musique, qu'il devait y diriger le dimanche suivant, jour de l'Assomption. Les jeunes choristes qu'il avait si vertement gourmandées étaient des enfants de ces scuole, où elles étaient instruites aux frais de l'état, pour être par lui dotées ensuite, soit pour le mariage, soit pour le clo?tre, dit Jean-Jacques Rousseau, qui admira leurs voix magnifiques vers la même époque, dans cette même église. Lecteur, tu ne te rappelles que trop ces détails, et un épisode charmant raconté par lui à ce propos dans le livre VIII des Confessions. Je n'aurai garde de transcrire ici ces adorables pages, après lesquelles tu ne pourrais certainement pas te résoudre à reprendre les miennes; et bien autant ferais-je à ta place, ami lecteur. J'espère donc que tu n'as pas en ce moment les Confessions sous la main, et je poursuis mon conte.
Toutes ces jeunes personnes n'étaient pas également pauvres, et il est bien certain que, malgré la grande intégrité de l'administration, quelques-unes se glissaient là, pour lesquelles c'était plut?t une spéculation qu'une nécessité de recevoir, aux frais de la République, une éducation d'artiste et des moyens d'établissement. C'est pourquoi quelques-unes se permettaient d'oublier les saintes lois de l'égalité; grace auxquelles on les avait laissées s'asseoir furtivement sur les mêmes bancs que leurs pauvres soeurs. Toutes aussi ne remplissaient pas les vues austères que la République avait sur leur sort futur. Il s'en détachait bien quelqu'une de temps en temps, qui, ayant profité de l'éducation gratuite, renon?ait à la dot pour chercher ailleurs une plus brillante fortune. L'administration, voyant que cela était inévitable, avait quelquefois admis aux cours de musique les enfants des pauvres artistes dont l'existence nomade ne permettait pas un bien long séjour à Venise. De ce nombre était la petite Consuelo, née en Espagne, et arrivée de là en Italie en passant par Saint-Pétersbourg, Constantinople, Mexico, ou Arkangel, ou par toute autre route encore plus directe à l'usage des seuls Bohémiens.
Bohémienne, elle ne l'était pourtant que de profession et par manière de dire; car de race, elle n'était ni Gitana ni Indoue, non plus qu'Israélite en aucune fa?on. Elle était de bon sang espagnol, sans doute mauresque à l'origine, car elle était passablement brune, et toute sa personne avait une tranquillité qui n'annon?ait rien des races vagabondes. Ce n'est point que de ces races-là je veuille médire. Si j'avais inventé le personnage de Consuelo, je ne prétends point que je ne l'eusse fait sortir d'Isra?l, ou de plus loin encore; mais elle était formée de la c?te d'Isma?l, tout le révélait, dans son organisation. Je ne l'ai point vue, car je n'ai pas encore cent ans, mais on me l'a affirmé, et je n'y puis contredire. Elle n'avait pas cette pétulance fébrile interrompue par des accès de langueur apathique qui distingue les zingarelle. Elle n'avait pas la curiosité insinuante et la mendicité tenace d'une ebbrea indigente. Elle était aussi calme que l'eau des lagunes, et en même temps aussi active que les gondoles légères qui en sillonnent incessamment la face.
Comme elle grandissait beaucoup, et que sa mère était fort misérable, elle portait toujours ses robes trop courtes d'une année; ce qui donnait à ses longues jambes de quatorze ans, habituées à se montrer en public, une sorte de grace sauvage et d'allure franche qui faisait plaisir et pitié à voir. Si son pied était petit, on ne le pouvait dire, tant il était mal chaussé. Eh revanche; sa taille, prise dans des corps devenus trop étroits et craqués à toutes les coutures, était svelte et flexible comme un palmier, mais sans forme, sans rondeur, sans aucune séduction. La pauvre fille n'y songeait guère, habituée qu'elle était à s'entendre traiter de guenon, de cédrat, et de moricaude, par les blondes, blanches et replètes filles de l'Adriatique. Son visage tout rond, blême et insignifiant, n'e?t frappé personne, si ses cheveux courts, épais et rejetés derrière ses oreilles, en même temps que son air sérieux et indifférent à toutes les choses extérieures, ne lui eussent donné une certaine singularité peu agréable. Les figures qui ne plaisent pas perdent de plus en plus la faculté de plaire. L'être qui les porte, indifférent aux autres, le devient à lui-même, et prend une négligence de physionomie qui éloigne de plus en plus les regards. La beauté s'observe, s'arrange, se soutient, se contemple, et se pose pour ainsi dire sans cesse dans un miroir imaginaire placé devant elle. La laideur s'oublie et se laisse aller. Cependant il en est de deux sortes: l'une qui souffre et proteste sans cesse contre la réprobation générale par une habitude de rage et d'envie: ceci est la vraie, la seule laideur; l'autre, ingénue, insouciante, qui prend son parti, qui n'évite et ne provoque aucun jugement, et qui gagne le coeur tout en choquant les yeux: c'était la
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.