Conscience | Page 3

Hector Malot
mal.
--C'est facile, dit une voix.
--Facile si vous admettez un respect en quelque sorte inn�� de la vie humaine, de la propri��t�� et de la famille. Mais vous reconna?trez que tous les hommes n'ont pas ce respect. Combien ne croient pas que c'est une faute de prendre la femme de leur ami, un crime de s'approprier une chose dont ils ont besoin, de supprimer un ennemi! Alors o�� sont les devoirs de ceux qui raisonnent et sentent ainsi? Que vaut leur satisfaction int��rieure? C'est pourquoi je n'admets pas que la conscience soit un instrument de pr��cision propre �� qualifier ou �� peser nos actions.
Il s'��leva quelques exclamations que Brigard r��prima.
--A quelle r��gle ob��ira l'humanit��, je vous prie? demanda-t-il.
--A celle de la force, qui est le dernier mot de la philosophie de la vie....
--....Ce qui conduit �� une extermination progressive et savante. Est-ce l�� ce que vous voulez?
--Pourquoi non? Je ne recule pas devant une extermination qui all��ge l'humanit�� des non-valeurs qu'elle tra?ne sans pouvoir avancer et se d��gager, succombant �� la peine. N'y a-t-il pas tout profit pour elle �� se d��barrasser de ces non-valeurs qui obstruent son chemin?
--Au moins l'id��e est bizarre chez un m��decin, interrompit Crozat, puisqu'elle supprime les h?pitaux.
--Mais pas du tout: je les conserve pour l'��tude des monstres.
--En mettant la soci��t�� sur ce pied d'antagonisme aigu, dit Brigard, vous supprimez la soci��t�� m��me, qui repose sur la r��ciprocit��, sur la solidarit��, et vous cr��ez ainsi pour vos forts un ��tat de m��fiance qui les paralyse. Carthage et Venise ont pratiqu�� cette s��lection par la force, et elles se sont effondr��es.
--Vous parlez de force, mon cher Saniel, interrompit une voix; o�� prenez-vous ?a, la force des choses, le _fatum_; il n'y a pas d'initiative, pas de volont��; ce sont les ��v��nements qui veulent pour nous, le climat, le temp��rament, le milieu.
--Donc, r��pliqua Saniel, il n'y a pas de responsabilit��, et cet instrument, la conscience, qui devrait tout peser, ne sert �� rien. Sans compter que les cons��quences des ��v��nements, que le succ��s ou la d��faite viennent encore le fausser, car tel acte que vous avez cru condamnable en l'accomplissant peut servir �� l'esp��ce, tandis que tel autre que vous avez cru bienfaisant peut nuire; d'o�� il r��sulte qu'on ne devrait juger que les intentions et qu'il n'y a que Dieu qui peut sonder les coeurs.
Il se mit �� rire:
--Le voulez-vous? Est-ce l�� votre conclusion?
Un gar?on de l'h?tel entra portant des cruchons de bi��re sur un plateau, et la discussion fut forc��ment interrompue, tout le monde entourant la table o�� Crozat emplissait les chopes.
Alors des conversations particuli��res s'��tablirent, ceux qui avaient ��t�� en vacances racontant ce qu'ils avaient fait �� ceux qui ��taient rest��s �� Paris.
Saniel ��tait venu serrer la main de Brigard, qui l'avait accueilli assez froidement; puis il s'��tait rapproch�� de Glady avec l'intention manifeste de chercher �� l'accaparer; mais celui-ci avait annonc�� qu'il ��tait oblig�� de partir, et Saniel alors avait dit qu'il ne pouvait pas rester non plus et qu'il n'��tait entr�� qu'en passant.
Quand ils furent tous deux sortis, Brigard, s'adressant �� Crozat et �� Nougar��de, en en moment pr��s de lui, d��clara que Saniel l'inqui��tait:
--C'est un gar?on qui se croit plus fort que la vie, dit-il, parce qu'il est solide et intelligent; qu'il prenne garde qu'elle ne l'��crase!

II
Quand Saniel et Glady se trouv��rent sur le trottoir de la rue de Vaugirard, la pluie qui tombait depuis le matin, fouett��e par des rafales de l'ouest, venait de s'arr��ter, et l'asphalte brillait propre et luisant comme un miroir.
--Il fait bon marcher, dit Saniel.
--La pluie va reprendre, r��pondit Glady en regardant le ciel tout charg�� de gros nuages noirs qui passaient sur la face de la lune, balay��s par le vent.
--Je ne crois pas.
Il ��tait ��vident que Glady ne demandait qu'�� prendre une voiture; mais, comme il n'en passait pas en ce moment, il fallut bien qu'il marchat �� c?t�� de Saniel.
--Savez-vous, dit-il, que vous avez bless�� Brigard?
--Sinc��rement, je le regrette; mais la salle de notre ami Crozat n'est pas encore tout �� fait une ��glise, et je n'imaginais pas que la discussion y f?t d��fendue.
--Nier n'est pas discuter.
--Vous me dites cela comme si vous ��tiez fach�� contre moi.
--N'allez pas le croire; je suis fach�� que vous ayez bless�� Brigard, cela et rien de plus!
--C'est d��j�� trop, car j'ai pour vous une sinc��re estime et, si vous me permettez de le dire, une r��elle amiti��.
Mais Glady ne paraissait pas d��sirer que la conversation prit cette tournure.
--Je crois que voici une voiture vide, dit-il en apercevant un fiacre qui venait sur eux.
--Non, r��pondit Saniel, je vois la lueur d'un cigare derri��re la vitre.
Glady eut un geste d'impatience auquel il ne s'abandonna pas, mais que Saniel, qui l'observait, devait d'autant mieux remarquer qu'il le guettait.
Riche et fr��quentant les besoigneux, Glady vivait dans la crainte des emprunteurs. Il suffisait qu'on
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