≂Conscience
The Project Gutenberg EBook of Conscience, by Hector Malot This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.net
Title: Conscience
Author: Hector Malot
Release Date: September 8, 2004 [EBook #13400]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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CONSCIENCE
HECTOR MALOT
1888
PREMIèRE PARTIE
I
Lorsque le bohème Crozat était sorti de la misère par un bon mariage qui le faisait bourgeois de la rue de Vaugirard, il n'avait pas rompu avec ses anciens camarades; au lieu de les fuir ou de les tenir à distance, il avait pris plaisir à les grouper autour de lui, très content de leur ouvrir sa maison, dont le confortable le jetait loin de la mansarde de la rue Ganneron qu'il avait si longtemps habitée, et le flattait agréablement.
Tous les mercredis, de quatre à sept heures, il y avait réunion chez lui à l'_H?tel des Médicis_, et c'était un jour sacré pour lequel on se réservait: quand une idée nouvelle germait dans l'esprit d'un des habitués, elle était caressée, m?rie, étudiée en silence, afin d'être présentée dans sa fleur au cénacle. ?J'en parlerai chez Crozat?; les lèvres prenaient un sourire d'espérance, et l'on s'endormait tranquillement en écoutant déjà le tapage qui se ferait dans la petite salle basse de l'h?tel où Crozat, les mains tendues, la figure ouverte, recevait ses amis.
Elle était aimable cette réception, simple comme l'homme, cordiale de la part du mari ainsi que de celle de la femme, qui ayant été comédienne, avait gardé la religion de la camaraderie. Sur une table, on trouvait des cruchons de bière et des chopes; à longueur de bras, un vieux pot en grès de Beauvais, plein de tabac. La bière était bonne, le tabac sec; les chopes ne restaient jamais vides; on pouvait mettre ses pieds crottés sur les barreaux des chaises en causant librement entre hommes, et cracher sans gêne autour de soi.
Et ce n'était point de niaiseries ou de futilités qu'on s'entretenait, de bavardages mondains, de commérages sur les amis absents, ou de potins de coteries, mais des grandes questions philosophiques, politiques, sociales, religieuses, qui règlent l'humanité.
Formé d'abord d'amis ou tout au moins de camarades qui avaient travaillé et tra?né la misère ensemble, le cercle de ces réunions s'était peu à peu élargi, et si bien qu'un jour la salle de l'h?tel des Médicis était devenue une ?parlotte? où les prêcheurs d'idées et de religions nouvelles, les penseurs, les réformateurs, les ap?tres, les politiciens, les esthéticiens et même simplement les bavards en quête d'oreilles plus ou moins complaisantes se donnaient rendez-vous; venait qui voulait, et, si l'on n'entrait point là tout à fait comme dans une brasserie, il suffisait d'être amené par un habitué pour avoir droit à la pipe, à la bière et à la parole.
Mais, quoiqu'une certaine liberté réglat l'ordre du jour de cette parlotte, on n'était pas toujours certain d'arriver à placer le discours préparé pour lequel on était venu; car Crozat qui, selon ses propres expressions, ?poursuivait la conciliation de la science moderne avec les religions, quelles qu'elles fussent?, usait et même abusait de sa qualité de ma?tre de maison pour ne pas laisser les discussions s'écarter des sujets qui le passionnaient.
D'ailleurs, e?t-il faibli en cédant à des considérations de bienveillance, de politesse, ou même de faiblesse qui étaient assez dans son caractère, que le plus assidu de ses habitués, le père Brigard, e?t montré de la fermeté pour lui.
C'était une sorte d'ap?tre que Brigard, qui s'était acquis une célébrité en mettant en pratique dans sa vie les idées qu'il professait et prêchait: comte de Brigard, il avait commencé par renoncer à son titre qui le faisait vassal du respect humain et des conventions sociales;--répétiteur de droit, il e?t pu facilement gagner mille ou douze cents francs par mois, mais il avait arrangé le nombre et le prix de ses le?ons de fa?on que sa journée ne lui rapportat, que dix francs, pour n'être pas l'esclave de l'argent;--vivant avec une femme qu'il aimait, il avait toujours tenu, bien qu'il en e?t deux filles, à rester avec elle ?en union libre? et à ne pas reconna?tre ses enfants, parce que la loi e?t affaibli les liens qui l'attachaient à elles et amoindri ses devoirs; c'était la conscience qui sanctionnait ces devoirs; et la nature comme la conscience faisaient de lui le plus fidèle des maris, le meilleur, le plus affectueux, le plus tendre des pères. Grand, fier, portant dans sa personne et ses manières l'élégance native de sa race,
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