Comme il vous plaira | Page 4

William Shakespeare
et de pleurer, et toi tu palirais d'effroi.
CHARLES.--Je suis bien content d'��tre venu vous trouver: s'il vient demain, je lui donnerai son compte: s'il est jamais en ��tat d'aller seul, apr��s s'��tre essay�� contre moi, de ma vie je ne lutterai pour le prix: et l��-dessus Dieu garde Votre Seigneurie!
OLIVIER.--Adieu, bon Charles.--A pr��sent, il me faut exciter mon jouteur: j'esp��re m'en voir bient?t d��barrass��; car mon ame, je ne sais cependant pas pourquoi, ne hait rien plus que lui; en effet, il a le coeur noble, il est instruit sans avoir jamais ��t�� �� l'��cole, parlant bien et avec noblesse, il est aim�� de toutes les classes jusqu'�� l'adoration; et si bien dans le coeur de tout le monde, et surtout de mes propres gens, qui le connaissent le mieux, que moi j'en suis m��pris��. Mais cela ne durera pas: le lutteur va y mettre bon ordre. Il ne me reste rien �� faire, qu'�� exciter ce gar?on l��-dessus, et j'y vais de ce pas.
(Il sort.)
SC��NE II
Plaine devant le palais du duc.
ROSALINDE et C��LIE.
C��LIE.--Je t'en conjure, Rosalinde, ma ch��re cousine, sois plus gaie.
ROSALINDE.--Ch��re C��lie, je montre bien plus de gaiet�� que je n'en poss��de; et tu veux que j'en montre encore davantage? Si tu ne peux m'apprendre �� oublier un p��re banni, renonce �� vouloir m'apprendre �� me souvenir d'une grande joie.
C��LIE.--Ah! je vois bien que tu ne m'aimes pas aussi tendrement que je t'aime; car si mon oncle, ton p��re, au lieu d'��tre banni, avait au contraire banni ton oncle, le duc mon p��re, pourvu que tu fusses rest��e avec moi, mon amiti�� pour toi m'aurait appris �� prendre ton p��re pour le mien; et tu en ferais autant, si la force de ton amiti�� ��galait celle de la mienne.
ROSALINDE.--Eh bien! je veux tacher d'oublier ma situation, pour me r��jouir de la tienne.
C��LIE.--Tu sais que mon p��re n'a que moi d'enfants; il n'y a pas d'apparence qu'il en ait jamais d'autre; et certainement �� sa mort tu seras son h��riti��re; tout ce qu'il a enlev�� de force �� ton p��re, je te le rendrai par affection; sur mon honneur, je le ferai, et que je devienne un monstre s'il m'arrive d'enfreindre ce serment! Ainsi, ma charmante Rose, ma ch��re Rose, sois gaie.
ROSALINDE.--Je le serai d��sormais, cousine; je veux imaginer quelque amusement. Voyons, que penses-tu de faire l'amour?
C��LIE.--Oh! ma ch��re, je t'en prie, fais de l'amour un jeu; mais ne va pas aimer s��rieusement aucun homme, et m��me par amusement ne va jamais si loin que tu ne puisses te retirer en honneur et sans rougir.
ROSALINDE.--Eh bien! �� quoi donc nous amuserons-nous?
C��LIE.--Asseyons-nous, et par nos moqueries d��rangeons de son rouet cette bonne m��nag��re, la Fortune, afin qu'�� l'avenir ses dons soient plus ��galement partag��s[2].
[Note 2: Nous avons d��j�� vu, dans Antoine et Cl��opatre, que Shakspeare donne un rouet �� la Fortune et en fait une m��nag��re.]
ROSALINDE.--Je voudrais que cela f?t en notre pouvoir, car ses bienfaits sont souvent bien mal plac��s, et la bonne aveugle fait surtout de grandes m��prises dans les dons qu'elle distribue aux femmes.
C��LIE.--Oh! cela est bien vrai; car celles qu'elle fait belles, elle les fait rarement vertueuses, et celles qu'elle fait vertueuses, elle les fait en g��n��ral bien laides.
ROSALINDE.--Mais, cousine, tu passes de l'office de la Fortune �� celui de la Nature. La Fortune est la souveraine des dons de ce monde, mais elle ne peut rien sur les traits naturels.
(Entre Touchstone.)
C��LIE.--Non?... Lorsque la Nature a form�� une belle cr��ature, la Fortune ne peut-elle pas la faire tomber dans le feu? Et, bien que la Nature nous ait donn�� de l'esprit pour railler la Fortune, cette m��me fortune envoie cet imb��cile pour interrompre notre entretien.
ROSALINDE.--En v��rit��, la Fortune est trop cruelle envers la Nature, puisque la Fortune envoie l'enfant de la nature pour interrompre l'esprit de la nature.
C��LIE.--Peut-��tre n'est-ce pas ici l'ouvrage de la Fortune, mais celui de la Nature elle-m��me, qui, s'apercevant que notre esprit naturel est trop ��pais pour raisonner sur de telles d��esses, nous envoie cet imb��cile pour notre pierre �� aiguiser[3], car toujours la stupidit�� d'un sot sert �� aiguiser l'esprit.--Eh bien! homme d'esprit, o�� allez-vous?
[Note 3: C��lie et Rosalinde jouent sur le sens du mot Touchstone, qui veut dire pierre �� aiguiser ou pierre de touche. Les clowns du th��atre anglais sont des bouffons, des graciosi; il ne faut pas les confondre avec les fous en titre.]
TOUCHSTONE.--Ma?tresse, il faut que vous veniez trouver votre p��re.
C��LIE.--Vous a-t-on fait le messager?
TOUCHSTONE.--Non, sur mon honneur; mais on m'a ordonn�� de venir vous chercher.
ROSALINDE.--O�� avez-vous appris ce serment, fou?
TOUCHSTONE.--D'un certain chevalier, qui jurait sur son honneur que les beignets ��taient bons, et qui jurait encore sur son honneur que la moutarde ne valait rien: moi, je soutiendrai que les beignets ne valaient rien, et que la moutarde ��tait bonne, et cependant le chevalier ne faisait
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