tu, il reprit fièrement:
--Voici la communication que je re?ois du gouvernement. Et, élevant sa dépêche, il lut:
?Ancien maire révoqué. Veuillez aviser au plus pressé. Recevrez instructions ultérieures.
Pour le sous-préfet,
SAPIN, conseiller.?
Il triomphait; son coeur battait de joie; ses mains tremblaient, mais Picart, son ancien subalterne, lui cria d'un groupe voisin:
--C'est bon, tout ?a, mais si les autres ne sortent pas, ?a vous fait une belle jambe, votre papier.
Et M. Massarel palit. Si les autres ne sortaient pas, en effet, il fallait aller de l'avant maintenant. C'était non seulement son droit, mais aussi son devoir.
Et il regardait anxieusement la mairie espérant qu'il allait voir la porte s'ouvrir et son adversaire se replier.
La porte restait fermée. Que faire? la foule augmentait, se serrait autour de la milice. On riait.
Une réflexion surtout torturait le médecin. S'il donnait l'assaut, il faudrait marcher à la tête de ses hommes; et comme, lui mort, toute contestation cesserait, c'était sur lui, sur lui seul que tireraient M. de Varnetot et ses trois gardes. Et ils tiraient bien, très bien; Picart venait encore de le lui répéter. Mais une idée l'illumina et, se tournant vers Pommel:
--Allez vite prier le pharmacien de me prêter une serviette et un baton.
Le lieutenant se précipita.
Il allait faire un drapeau parlementaire, un drapeau blanc dont la vue réjouirait peut-être le coeur légitimiste de l'ancien maire.
Pommel revint avec le linge demandé et un manche à balai. Au moyen de ficelles, on organisa cet étendard que M. Massarel saisit à deux mains; et il s'avan?a de nouveau vers la mairie en le tenant devant lui. Lorsqu'il fut en face de la porte, il appela encore ?Monsieur de Varnetot?. La porte s'ouvrit soudain, et M. de Varnetot apparut sur le seuil avec ses trois gardes.
Le docteur recula par un mouvement instinctif; puis, il salua courtoisement son ennemi et pronon?a, étranglé par l'émotion: ?Je viens, Monsieur, vous communiquer les instructions que j'ai re?ues.?
Le gentilhomme, sans lui rendre son salut, répondit: ?Je me retire, Monsieur, mais sachez bien que ce n'est ni par crainte, ni par obéissance à l'odieux gouvernement qui usurpe le pouvoir.? Et, appuyant sur chaque mot, il déclara: ?Je ne veux pas avoir l'air de servir un seul jour la République. Voilà tout.?
Massarel, interdit, ne répondit rien; et M. de Varnetot, se mettant en marche d'un pas rapide, disparut au coin de la place, suivi toujours de son escorte.
Alors le docteur, éperdu d'orgueil, revint vers la foule. Dès qu'il fut assez près pour se l'aire entendre, il cria: ?Hurrah! hurrah! La République triomphe sur toute la ligne.?
Aucune émotion ne se manifesta.
Le médecin reprit: ?Le peuple est libre, vous êtes libres, indépendants. Soyez fiers!?
Les villageois inertes le regardaient sans qu'aucune gloire illuminat leurs yeux.
A son tour, il les contempla, indigné de leur indifférence, cherchant ce qu'il pourrait dire, ce qu'il pourrait faire pour frapper un grand coup, électriser ce pays placide, remplir sa mission d'initiateur.
Mais une inspiration l'envahit et, se tournant vers Pommel: ?Lieutenant, allez chercher le buste de l'ex-empereur qui est dans la salle des délibérations du conseil municipal, et apportez-le avec une chaise.?
Et bient?t l'homme reparut portant sur l'épaule droite le Bonaparte de platre, et tenant de la main gauche une chaise de paille.
M. Massarel vint au-devant de lui, prit la chaise, la posa par terre, pla?a dessus le buste blanc, puis se reculant de quelques pas, l'interpella d'une voix sonore:
?Tyran, tyran, te voici tombé, tombé dans la boue, tombé dans la fange. La patrie expirante ralait sous ta botte. Le Destin vengeur t'a frappe. La défaite et la honte se sont attachées à toi; tu tombes vaincu, prisonnier du Prussien; et, sur les ruines de ton empire croulant, la jeune et radieuse République se dresse, ramassant ton épée brisée...?
Il attendait des applaudissements. Aucun cri, aucun battement de main n'éclata. Les paysans effarés se taisaient; et le buste aux moustaches pointues qui dépassaient les joues de chaque c?té, le buste immobile et bien peigné comme une enseigne de coiffeur, semblait regarder M. Massarel avec son sourire de platre, un sourire ineffa?able et moqueur.
Ils demeuraient ainsi face à face, Napoléon sur sa chaise, le médecin debout, à trois pas de lui. Une colère saisit le commandant. Mais que faire? que faire pour émouvoir ce peuple et gagner définitivement cette victoire de l'opinion?
Sa main, par hasard, se posa sur son ventre, et il rencontra, sous sa ceinture rouge, la crosse de son revolver.
Aucune inspiration, aucune parole ne lui venaient plus. Alors il tira son arme, fit deux pas et, à bout portant, foudroya l'ancien monarque.
La balle creusa dans le front un petit, trou noir, pareil à une tache, presque rien. L'effet était manqué. M. Massarel tira un second coup, qui fit un second trou, puis un troisième, puis, sans s'arrêter, il lacha les trois derniers. Le front de Napoléon volait en poussière blanche, mais les yeux, le
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