Samuel Fergusson, l'un de ses glorieux enfants, ne faillira pas à son origine. (De toutes parts: Non! non!) Cette tentative, si elle réussit (elle réussira!) reliera, en les complétant, les notions éparses de la cartologie africaine (véhémente approbation), et si elle échoue (jamais! jamais!), elle restera du moins comme l'un des plus audacieuses conceptions du génie humain! (Trépignements frénétiques.) ?
--Hourra! hourra! fit l'assemblée électrisée par ces émouvantes paroles.
--Hourra pour l'intrépide Fergusson!? s'écria l'un des membres les plus expansifs de l'auditoire.
Des cris enthousiastes retentirent. Le nom de Fergusson éclata dans toutes les bouches, et nous sommes fondés à croire qu'il gagna singulièrement à passer par des gosiers anglais. La salle des séances en fut ébranlée.
Ils étaient là pourtant, nombreux, vieillis, fatigués, ces intrépides voyageurs que leur tempérament mobile promena dans les cinq parties du monde! Tous, plus ou moins, physiquement ou moralement, ils avaient échappé aux naufrages, aux incendies. aux tomahawks de l'Indien, aux casse-têtes du sauvage, au poteau du supplice, aux estomacs de la Polynésie! Mais rien ne put comprimer les battements de leurs c?urs pendant le discours de sir Francis M..., et, de mémoire humaine, ce fut là certainement le plus beau succès oratoire de la Société royale géographique de Londres Mais, en Angleterre, l'enthousiasme ne s'en tient pas seulement aux paroles. Il bat monnaie plus rapidement encore que le balancier de ? the Royal Mint [La Monnaie à Londres.]. ? Une indemnité d'encouragement fut votée, séance tenante, en faveur du docteur Fergusson, et s'éleva au chiffre de deux mille cinq cents livres[Soixante-deux mille cinq cents francs.]. L'importance de la somme se proportionnait à l'importance de l'entreprise.
L'un des membres de la Société interpella le président sur la question de savoir si le docteur Fergusson ne serait pas officiellement présenté.
? Le docteur se tient à la disposition de l'assemblée, répondit sir Francis M ...
--Qu'il entre! s'écria-t-on, qu'il entre! Il est bon de voir par ses propres yeux un homme d'une audace aussi extraordinaire!
--Peut-être cette incroyable proposition, dit un vieux commodore apoplectique, n'a-t-elle eu d'autre but que de nous mystifier!
--Et si le docteur Fergusson n'existait pas! cria une voix malicieuse.
--Il faudrait l'inventer, répondit un membre plaisant de cette grave Société.
--Faites entrer le docteur Fergusson, ? dit simplenlent sir Francis M ...
Et le docteur entra au milieu d'un tonnerre d'applaudissements, pas le moins du monde ému d'ailleurs.
C'était un homme d'une quarantaine d'années, de taille et de constitution ordinaires; son tempérament sanguin se trahissait par une coloration forcée du visage, il avait une figure froide, aux traits réguliers, avec un nez fort, le nez en proue de vaisseau de l'homme prédestiné aux découvertes; ses yeux fort doux, plus intelligents que hardis, donnaient un grand charme à sa physionomie; ses bras étaient longs, et ses pieds se posaient à terre avec l'aplomb du grand marcheur.
La gravité calme respirait dans toute la personne du docteur, et l'idée ne venait pas à l'esprit qu'il put être l'instrument de la plus innocente mystification.
Aussi, les hourras et les applaudissements ne cessèrent qu'au moment où le docteur Fergusson réclama le silence par un geste aimable. Il se dirigea vers le fauteuil préparé pour sa présentation; puis, debout, fixe, le regard énergique, il leva vers le ciel l'index de la main droite; ouvrit la bouche et pronon?a ce seul mot:
? Excelsior! ?
Non! jamais interpellation inattendue de MM. Bright et Cobden, jamais demande de fonds extraordinaires de lord Palmerston pour cuirasser les rochers de l'Angleterre, n'obtinrent un pareil succès. Le discours de sir Francis M... était dépassé, et de haut. Le docteur se montrait à la fois sublime, grand, sobre et mesuré; il avait dit le mot de la situation:
? Excelsior! ?
Le vieux commodore, complètement rallié à cet homme étrange, réclama l'insertion ? intégrale ? du discours Fergusson dans the Proceedings of the Royal Geographical Society of London [Bulletins de la Société Royale Géographique de Londres.].
Qu'était donc ce docteur, et à quelle entreprise allait-il se dévouer?
Le père du jeune Fergusson, un brave capitaine de la marine anglaise, avait associé son fils, dès son plus jeune age, aux dangers et aux aventures de sa profession. Ce digne enfant, qui para?t n'avoir jamais connu la crainte, annon?a promptement un esprit vif, une intelligence de chercheur, une propension remarquable vers les travaux scientifiques; il montrait, en outre, une adresse peu commune à se tirer d'affaire; il ne fut jamais embarrassé de rien, pas même de se servir de sa première fourchette, à quoi les enfants réussissent si peu en général.
Bient?t son imagination s'enflamma à la lecture des entreprises hardies, des explorations maritimes; il suivit avec passion les découvertes qui signalèrent la première partie du XlXe siècle; il rêva la gloire des Mungo-Park, des Bruce, des Caillié, des Levaillant, et même un peu, je crois, celle de Selkirk, le Robinson Crusoé, qui ne lui paraissait pas inférieure. Que d'heures bien occupées il passa avec lui
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