étant mort l'année suivante, Louis XIV avait pris aussitôt le sceptre d'une main
ferme, bien décidé de régner par lui-même et de maintenir la tranquillité intérieure, ainsi
que d'augmenter la prospérité du royaume, tout en le faisant respecter et en l'agrandissant
au dehors.
Mazarin, qui avait trop songé à remplir ses propres coffres--il possédait à sa mort près de
deux cent millions--avait laissé les finances dans un état déplorable; mais grâce à
l'administration sage et vigoureuse de Colbert, le trésor public fut si tôt rempli que, dès
1663, Louis XIV pouvait racheter des Anglais Dunkerque, qu'il s'empressa de fortifier.
Le même Colbert, si entendu à l'administration intérieure, savait aussi tout le bénéfice
qu'on pouvait attendre des colonies. L'Espagne en était un frappant exemple, elle qui,
depuis plus d'un siècle, entretenait la guerre contre toute l'Europe, grâce aux immenses
ressources que l'ingrate patrie adoptive de Colomb tirait de l'Amérique.
Aussi la Nouvelle-France attira-t-elle tout d'abord l'attention de Colbert, qui, la voyant
dépérir entre les mains de la compagnie des Cent-Associés, se hâta de placer la colonie
plus immédiatement sous le contrôle de l'autorité royale.
Par un édit du roi, de 1664, le Canada fut cédé à la compagnie des Indes-Occidentales. En
même temps, Louis XIV nommait le marquis de Tracy Vice-Roi de toutes les possessions
françaises en Amérique, M. de Courcelles, gouverneur du Canada et M. Talon, intendant.
Le choix était des plus judicieux. Il ne fallait rien moins que la réunion de ces trois
hommes de talents et d'énergie pour arrêter la colonie sur le penchant de sa ruine et la
relever par un habile et puissant effort.
Pour seconder les vues de ces hommes éclairés, le régiment de Carignan, composé de
vingt-quatre compagnies, fut mis à leur disposition. La petite flotte, sur laquelle on
embarqua les troupes fut aussi chargée d'un grand nombre de familles de cultivateurs et
d'artisans, amenant des boeufs, des moutons et les premiers chevaux qui aient été vus en
Canada. [1] Soldats, marchands, colons, tous comptés, formaient plus de deux mille âmes,
c'est-à-dire une population presque aussi considérable que celle déjà résidante en la
Nouvelle-France.
[Note 1: Les colons de la Nouvelle-France, pour témoigner leur gratitude à M. de
Montmagny, avaient cependant fait présent d'un cheval à ce gouverneur, assez longtemps
avant cette époque.]
Tous ces secours n'arrivèrent pourtant qu'en 1665 à Québec. La colonie était sauvée.
Mais mon but n'est pas de m'arrêter d'une manière spéciale sur la période de progrès qui
allait succéder à un état d'affaissement si prolongé. Bien que je doive indiquer cette
heureuse renaissance au dénouement de l'action de cette oeuvre, j'ai voulu surtout décrire,
dans les pages suivantes, les périls, les angoisses, les terreurs et les drames qui
marquaient chaque journée des hardis pionniers, nos admirables aïeux. Ce que je veux
peindre c'est cette vie d'alarmes d'embûches et de luttes terribles dont est toute remplie
l'héroïque époque qui précéda l'arrivée du régiment de Carignan; les craintes des
habitants des villes, les incessants dangers du colon isolé dans les campagnes et souvent
hors de la portée de tout secours; puis, à côté de cette existence parsemée d'épouvante,
mais que rendaient cependant supportable encore certaines jouissances de la civilisation,
les moeurs ou plutôt les coutumes barbares des tribus iroquoises; les marches forcées et
pénibles de leurs prisonniers de guerre; les malheurs et la dispersion de la nation huronne;
les tortures des captifs, leurs souffrances dans les villages Iroquois; les longues nuits
d'insomnie sous les wigwams enfumés, les raffinements de cruauté des vainqueurs sur
leurs prisonniers sauvages ou blancs; l'admirable courage de ces derniers au milieu de
souffrances, de tourments inouïs; enfin la marche stoïque de la civilisation contre la
barbarie aux abois: et, pour adoucir les sombres couleurs d'un pareil tableau, l'insoucieuse
gaîté gauloise, accompagnée d'un amour pur, fine fleur de chevalerie française aux
parfums pénétrants et salutaires comme l'image de Béatrix que Dante emporte en son âme
pour mieux endurer la vue des horreurs de l'enfer.
CHAPITRE PREMIER
L'ARRIVÉE
Le soleil s'élançait, tout resplendissant, au-dessus de la cime boisée des falaises de la
Pointe-Lévi. Ses traits de feu trouaient l'humide manteau de vapeurs qui tombait des
épaules du roc géant de Stadaconna et s'en allait effleurer de ses franges ouatées les eaux
du grand fleuve, encore endormi aux pieds de la ville de Champlain. Secoué par la brise
du matin, le brouillard commençait à se disperser dans l'air, où ses lambeaux se
dissipaient avec les dernières ombres de la nuit.
C'était le matin du 18 septembre de l'an de grâce 1664, qui s'annonçait si radieux à la
petite ville de Québec.
Là-bas, entre l'extrémité de la Pointe-Lévi et le flanc onduleux de la belle Île d'Orléans,
aux feuillages rougis par l'automne, les trois voiles blanches d'un vaisseau semblaient
planer dans l'espace. Quelques flocons de brume qui roulaient encore en se jouant,
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