lui ont appris, et du rang o�� il s'est plac��.
Voici, par exemple, comment, en 1820, il juge Chamfort: ?Atteint de la maladie qui a fait les jacobins, il ne pouvait pardonner aux hommes le hasard de sa naissance... Quand il vit que sous la R��volution il n'arrivait �� rien, il tourna contre lui-m��me les mains qu'il avait lev��es contre la soci��t��. Le bonnet rouge ne parut plus �� son orgueil qu'une autre esp��ce de couronne, le sans-culottisme qu'une sorte de noblesse, dont les Marat et les Robespierre ��taient les grands seigneurs. Furieux de retrouver l'in��galit�� des rangs jusque dans le monde des douleurs et des larmes, condamn�� �� n'��tre encore que vilain dans la f��odalit�� des bourreaux, il se voulut tuer pour ��chapper aux sup��riorit��s du crime...?
Mais, �� vingt ans, il est fort content de conna?tre Chamfort et de l'amener quelquefois souper dans sa famille. Et, m��me un peu plus tard, dans son Essai historique, il est beaucoup moins s��v��re, et pour Chamfort et pour les autres.
C'est qu'il a assist��, et de tout pr��s, aux commencements de la R��volution, et que, malgr�� les horreurs dont il a ��t�� t��moin: la prise de la Bastille, et les t��tes de Berthier et de Foulon passant sous ses fen��tres, et le 5 octobre et les premi��res grandes journ��es criminelles, il a senti l'ivresse r��volutionnaire, l'ivresse du Paris de la rue, des clubs, des spectacles, des maisons de jeu, et du Palais-Royal. Deux fois, il a rencontr�� Mirabeau; il le juge avec une extr��me indulgence, ou plut?t il l'admire: ?Ce fils des lions, lion lui-m��me �� t��te de chim��re... ��tait tout roman, tout po��sie, tout enthousiasme... Mirabeau m'enchanta de r��cits d'amour, de souhaits de retraite... Malgr�� son immoralit��, il n'avait pu fausser sa conscience.?
Ce qu'il y a d'effr��n�� dans Mirabeau s'accorde fort bien avec ce qu'il y a d'indompt�� dans Chateaubriand. Tous deux sont fils de p��res terribles. Et ce qu'il y a d'effr��n�� aussi dans la R��volution ne peut lui d��plaire: ce redoublement de vie, ce m��lange des moeurs anciennes et des moeurs nouvelles, les passions et les caract��res en libert��. Les p��rils m��me, dit-il, ajoutaient �� l'int��r��t de ce d��sordre. ?Le genre humain en vacances se prom��ne dans les rues d��barrass�� de ses p��dagogues.? Et dans les derniers salons encore ouverts en 1790, �� l'h?tel de La Rochefoucauld, aux soir��es de mesdames de Poix, d'H��nin, de Simiane, de Vaudreuil, les personnes les plus ��l��gantes connaissent cette ivresse. Et le sentiment du p��ril, et de l'incertitude des choses et des ruines proches, les pousse tour �� tour aux amours rapides, ou aux r��veries dans la solitude, ?m��l��es de tendresses ind��finissables?.
Oui, malgr�� ses premi��res atrocit��s, Chateaubriand garde, des commencements de la R��volution, le meilleur souvenir ��motif et esth��tique. Le d��sordre des temps lui sugg��re cette comparaison bien inattendue: ?Je ne pourrais mieux peindre la soci��t�� de 1789 et 1790 qu'en la comparant �� l'architecture du temps de Louis XII et de Fran?ois Ier, lorsque les ordres grecs se vinrent m��ler au style gothique.? Et, quand la R��volution sera tout �� fait ��pouvantable, alors ��clatera l'esp��ce de miracle des victoires r��volutionnaires, dues en grande partie, il est vrai, �� l'arm��e d'ancien r��gime; et cela ��blouira sur le jacobinisme jusqu'�� Joseph de Maistre. C'est, je crois, seulement de nos jours qu'on a su voir la R��volution toute nue et sans prestige.
Mais Chateaubriand n'en pourra jamais parler de sang-froid ni sans une sorte d'admiration ��pouvant��e o�� vivent des souvenirs d'��motions fortes et secr��tement d��licieuses. Il ne sera jamais totalement d��senchant�� de la R��volution. Comme les lib��raux du dix-neuvi��me si��cle, il distingue toujours, dans les ��v��nements r��volutionnaires, ?ce qu'il faut condamner, l'accident? et ?l'intelligence cach��e qui jette parmi les ruines les fondements du nouvel ��difice.? Chose vraiment ��trange, en 1821 (et il le maintient en 1846), il parle s��rieusement, comme feront les Michelet et les Quinet, d'?une r��novation de l'esp��ce humaine dont la prise de la Bastille ouvrait l'��re, comme un sanglant jubil��.? C'est que, voyez-vous, cet enfant de volupt�� et de th��atre a trop joui de son imagination et s'est trop amus�� ces ann��es-l��.
Et cependant (ici je ne comprends plus tr��s bien), au moment o�� Paris ��tait si curieux et si grisant et pr��sentait tous les jours, �� ce passionn�� de drame et d'images, un spectacle unique et irretrouvable, tout �� coup il part pour l'Am��rique du Nord.
Dans ses M��moires, il nous dit subitement (et il est vrai que, quelques ann��es auparavant, il avait song�� �� aller au Canada ou aux Indes): ?Une id��e me dominait, l'id��e de passer aux ��tats-Unis. Je me proposais de d��couvrir le passage au nord-ouest de l'Am��rique.? Simplement. Et un peu plus loin, il nous dit que M. de Malesherbes lui montait la t��te sur ce voyage; qu'il allait le voir le matin; que, le nez coll�� sur des cartes, ils supputaient
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.