Cham et Japhet | Page 4

Ausone de Chancel
citoyen sur ce sol de refuge, tout entier acquis à la race noire ou mulatre.
Libéria dès lors a des imprimeries, des journaux, des écoles, des églises, des h?pitaux, des associations de charité, des prêtres chrétiens, des magistrats, une milice, des ports, une flotte, un pavillon que saluent de vingt et un coups de canon les escadres américaines, anglaises et fran?aises, et qui, plus tard, est officiellement reconnu par toutes les nations du globe.
Aujourd'hui son territoire, où se développe la culture de la canne à sucre, du café, du coton, de toutes les plantes tropicales; où se font des essais de drainage, d'assainissement et d'industrie mécanique, occupe 567 kilomètres de c?tes sur une profondeur de 64, avec une population de 250,000 ames.
Le commerce extérieur s'y traduit par un mouvement de 4 à 6 millions de francs, et telle est à l'intérieur son influence de rayonnement et d'attraction que Monrovia, sa capitale, et Edina se sont élevées, l'une sur un ancien marché d'esclaves, l'autre sur l'ancien emplacement du fameux buisson du diable, autour duquel les calamités publiques étaient conjurées par des sacrifices humains, et que nombre de rois nègres envoient de cent cinquante à deux cents lieues leurs enfants, à ses écoles[9].
[Note 9: Revue du Deux-Mondes, numéro de juillet 1852: _les Noirs libres et les Noirs esclaves, par M. Casimir Lecomte.--Moniteur universel, novembre 1856.--Courrier des états-Unis_, septembre 1836.--L'Encyclopédie anglaise, de Knight.]
Et pendant qu'en Europe, enfin, le recrutement des travailleurs africains, par voie d'engagement, soulève tant d'oppositions irritantes, la république de Libéria vient de décréter que tout individu résidant, ou venant s'établir sur son territoire, peut (à certaines conditions) y enr?ler des émigrants natifs d'Afrique et les transporter en pays étrangers (session législative de 1858).
Singulière actualité!
Il n'est pas un peuple blanc qui ne p?t s'honorer de l'acte d'état civil national de Libéria, le premier qu'un peuple nègre ait fait enregistrer dans l'histoire de l'humanité.
Par contre, opposons-lui celui de Saint-Domingue ou pour mieux dire d'Ha?ti, car cette pauvre reine des Antilles, honteusement prostituée dans les orgies de ses esclaves d'hier, ses ma?tres aujourd'hui de par l'émancipation brutale, s'est pudiquement débaptisée de son nom chrétien.
A peine la proclamation de l'émancipation est-elle proclamée, ce sont des bandes déguenillées, ivres de tafia, qui se ruent au pillage, avec un enfant blanc au bout d'une fourche pour drapeau.--C'est Jean-Fran?ois qui se fait un sérail de ses prisonnières blanches, et, quand il en est las, les livre à ses bandits.--C'est Biassou qui br?le ses prisonniers à petit feu, leur arrache les yeux avec des tire-balles et les scie entre deux planches.--C'est Jeannot qui se fait au bivouac une double décoration de têtes sur une haie de lances, de cadavres accrochés aux arbres par le menton, et qui, lorsque la scène est prête, se donne le spectacle de blancs qu'on écorche tout vifs, qu'on étire s'ils sont trop courts, qu'on rogne par les jambes s'ils sont trop longs. Si Jeannot a soif, qu'on lui coupe une tête choisie, et il en exprimera le sang dans une tasse de tafia.--Jeannot boit!
Ce sont Rigaud et Toussaint, le nègre et le mulatre, combattant chacun à son profit au nom de la régénération des esclaves. Guerre d'hypocrites des deux couleurs, qui finit par un massacre de mulatres; mais aussi par l'expulsion des Anglais, la conquête de la partie espagnole de l'?le, une ébauche de constitution et un semblant d'unité nationale.
Toussaint Louverture est l'homme de génie de cette révolution de sauvages,--car toute révolution a son homme de génie.--Après avoir autant que possible discipliné ses bandes, réhabilité la religion, rendu l'instruction obligatoire, il lui fallait reconstituer le travail. Le vieux nègre avait été esclave avant d'être dictateur, il connaissait son monde, et ce fut à coups de sabre et de mousquet qu'il renvoya ses nègres libres à leurs ateliers, avec obligation d'y travailler pendant cinq ans sans en sortir, à moins d'une permission expresse[10].
[Note 10: Rapport au ministère de la marine sur l'examen des questions relatives à l'esclavage (1843).]
Ses deux inspecteurs de culture, Mo?se et Dessalines, procédaient contre les fainéants par le baton; contre les mutins, en en prenant un au hasard dont ils faisaient sauter la cervelle, ou qu'ils faisaient enterrer vivant jusqu'au cou devant les ateliers assemblés[11].
[Note 11: Mémoires du général Pamphile Lacroix, t. II, p. 47]
Aussi les nouveaux citoyens ne disaient-ils plus de Toussaint ce qu'ils avaient dit du commissaire de la Convention Polverel, qui leur prêchait les droits de l'homme: Commissa? li bète trop, li connai à yen.
On sait comment le général Leclerc, dans la période heureuse de sa malheureuse expédition, s'empara de Toussaint, et le premier des noirs vint mourir en France au fort de Joux, prisonnier du premier des blancs.
C'est alors l'empereur Dessalines, un nègre du Congo[12], dont le gouvernement ne fut que l'exagération de celui de Toussaint, et de qui M. Thiers a dit: ?Véritable monstre tel qu'en peuvent
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