Cent-vingt jours de service actif | Page 9

Charles R. Daoust
une
moitié du bataillon à Edmonton. Personne ne savait quelles compagnies
seraient envoyées de l'avant et chacun était anxieux de savoir si son ami
dans telle autre compagnie serait forcé de le quitter. Vers quatre heures
de l'après-midi les waggons pour le transport arrivèrent et furent placés
près des casernes. Un détachement de la police à cheval arriva aussi
vers les cinq heures et alla se loger dans le fort. Un congé général fut
donné pendant la veillée, et les soldats en profitèrent largement.
La plupart se rendirent au premier restaurant, dont le propriétaire avait
offert aux volontaires une espèce de théâtre situé au fond de la bâtisse..

Un concert impromptu fut donné, chacun des volontaires présents y
prenant part. On y représenta la pantomime du Barbier de Séville;
plusieurs chansons comiques, des danses et des jeux sur la barre
horizontale remplirent le reste du programme. La soirée se passa de la
manière la plus gaie et pour plusieurs, la paie reçue la veille, y passa.
Pendant la journée le juge Rouleau et le shérif Chapleau vinrent faire
visite aux officiers. Pendant le peu de temps qu'ils passèrent aux
casernes, ils discutèrent la question du jour, et donnèrent plusieurs
conseils aux officiers sur les précautions à prendre pendant le voyage
qu'ils allaient entreprendre. Le mot de passe, cette nuit, était
"Calgarry."
Dimanche matin, à peine levé, chacun alla à la rivière se donner un bon
lavage, puis procéda à sa toilette, car pour la première fois depuis le
départ de Montréal, on devait avoir une basse-messe. A sept heures et
demie tout le monde était prêt et le bataillon se dirigea vers la mission à
environ deux milles du camp. Après vingt minutes de marche on vit
poindre à une faible distance l'humble croix de bois qui orne l'entrée de
la petite chapelle. Cette maison, oeuvre des pieux missionnaires établis
dans cette partie du pays avant même que le premier commerçant y eût
fixé sa baraque, n'est pas un modèle d'architecture, mais semble plutôt
avoir conservé le cachet d'humilité qui caractérisait le premier apôtre
qui l'a habitée. Le rez-de-chaussée sert de logis au missionnaire, et le
second étage est la maison du Seigneur. L'impression des volontaires
au moment où ils pénétrèrent dans cette modeste chapelle à peine assez
grande pour les contenir tous est difficile à dépeindre. Habitués à aller
adorer Dieu dans des temples où le peintre rivalise de perfection avec
l'architecte, où la civilisation moderne a fait tailler dans le bronze et le
marbre des autels grandioses, ils se sentaient émus de voir que Dieu
habitait ce faible réduit; quatre murs blanchis, deux prie-Dieu, un petit
maître-autel, ça et là quelques statues de la Vierge et de St. Joseph et
une: centaine de bancs en bois brut étaient tout l'ameublement de la
Mission.
Mais c'est toujours le même Dieu qui y réside!
Celui qui créa le monde, qui le gouverne, le même qui siège sur nos

autels à Montréal et qui continue là-bas sa mission de bonté et de salut.
Plus le temple est modeste, plus la grandeur du Tout-Puissant
impressionne le coeur du visiteur.
Pendant le service divin, notre aumônier nous fit une courte adresse.
Chacun se sentait ému au fond du coeur en écoutant cette voix grave et
solennelle qui nous rappelait avec quelle pompe nos amis de Montréal
recevraient après la campagne ceux qui auraient le bonheur de
retourner dans leurs foyers, et d'autre part quel triomphe attendait dans
le ciel ceux qui, plus chanceux, succomberaient pendant la campagne.
Immédiatement après la messe eut lieu le retour au camp. L'on déjeuna
en arrivant. Le reste de la journée fut employé à charger de provisions
les waggons qui devaient accompagner l'aile droite du bataillon. A neuf
heures du soir, tous les soldats étaient retournés au camp et à dix heures
chacun sommeillait.
De bonne heure le lendemain matin tout le bataillon était debout. Les
compagnies 2, 5, 6 et 7, qui devaient partir ce jour-là, jetèrent leurs
tentes à terre avant le déjeuner et à huit heures elles étaient prêtes à
partir. Cependant tout l'avant-midi s'écoula sans que le bataillon ne
reçut aucun ordre.
Enfin vers deux heures de l'après-midi l'on se mit en rangs et après
l'inspection générale des armes et des accoutrements, l'aile droite se mit
en marche. La fanfare du 92e accompagna nos frères jusqu'aux limites
de la ville, et tous les citoyens de Calgarry, les saluaient pendant qu'ils
passaient à travers les rues. Quant à nous (ceux qui restaient) nos
coeurs se serrèrent et plusieurs commencèrent à murmurer «n voyant
notre bataillon déjà divisé. Nous retournâmes sous la tente et
l'après-midi s'écoula dans le silence.

CHAPITRE III.
LE BATAILLON DROIT.
De Calgarry à Edmonton.

Le premier détachement qui prit la route d'Edmonton se composait
comme suit:
Commandant-en-chef: Major-Général Strange. Major de brigade: Capt.
Dale.
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