Carnet dun inconnu | Page 2

Fyodor Dostoyevsky
privant de tout, contractant des dettes hors de proportion avec sa fortune d'alors, sans ��chapper pour cela aux reproches d'��go?sme et d'ingratitude, si bien que mon oncle avait fini par se regarder lui-m��me comme un affreux ��go?ste et, pour s'en punir, pour s'en corriger, il multipliait les sacrifices et les envois d'argent.
La g��n��rale ��tait rest��e en adoration devant son mari. Ce qui l'avait particuli��rement charm��e en lui, c'est qu'il ��tait g��n��ral, faisant d'elle une g��n��rale. Elle avait dans la maison son appartement particulier o�� elle vivait avec ses domestiques, ses comm��res et ses chiens. Dans la ville, on la traitait en personne d'importance et elle se consolait de son inf��riorit�� domestique par tous les potins qu'on lui relatait, par les invitations aux bapt��mes, aux mariages et aux parties de cartes. Les mauvaises langues lui apportaient des nouvelles et la premi��re place lui ��tait toujours r��serv��e o�� qu'elle f?t. En un mot, elle jouissait de tous les avantages inh��rents �� sa situation de g��n��rale.
Quant au g��n��ral, il ne se m��lait de rien, mais il se plaisait �� railler cruellement sa femme devant les ��trangers, se posant des questions dans le genre de celle-ci: ?Comment ai-je bien pu me marier avec cette faiseuse de brioches?? Et personne n'osait lui tenir t��te. Mais, peu �� peu, toutes ses connaissances l'avaient abandonn��. Or, la compagnie lui ��tait indispensable, car il aimait �� bavarder, �� discuter, �� tenir un auditeur. C'��tait un libre penseur, un ath��e �� l'ancienne mode; il n'h��sitait pas �� traiter les questions les plus ardues.
Mais les auditeurs de la ville ne go?taient point ce genre de conversation et se faisaient de plus en plus rares. On avait bien tent�� d'organiser chez lui un whist pr��f��rence, mais les parties se terminaient ordinairement par de telles fureurs du g��n��ral que Madame et ses amis br?laient des cierges, disaient des pri��res, faisaient des r��ussites, distribuaient des pains dans les prisons pour ��carter d'eux ce redoutable whist de l'apr��s-midi qui ne leur valait que des injures, et parfois m��me des coups au sujet de la moindre erreur. Le g��n��ral ne se g��nait devant personne et, pour un rien qui le contrariait, il braillait comme une femme, jurait comme un charretier, jetait sur le plancher les cartes d��chir��es et mettait ses partenaires �� la porte. Rest�� seul, il pleurait de rage et de d��pit, tout cela parce qu'on avait jou�� un valet au lieu d'un neuf. Sur la fin, sa vue s'��tant affaiblie, il lui fallut un lecteur et l'on vit appara?tre Foma Fomitch Opiskine.
J'avoue annoncer ce personnage avec solennit��, car il est sans conteste le h��ros de mon r��cit. Je n'expliquerai pas les raisons qui lui m��ritent l'int��r��t, trouvant plus d��cent de laisser au lecteur lui-m��me le soin de r��soudre cette question.
Foma Fomitch, en s'offrant au g��n��ral Krakhotkine, ne demanda d'autre salaire que sa nourriture! D'o�� sortait-il? Personne ne le savait. Je me suis renseign�� et j'ai pu recueillir certaines particularit��s sur le pass�� de cet homme remarquable. On disait qu'il avait servi quelque part et qu'il avait souffert ?pour la v��rit��?. On racontait aussi qu'il avait jadis fait de la litt��rature �� Moscou. Rien d'��tonnant �� cela et son ignorance crasse n'��tait pas pour entraver une carri��re d'��crivain. Ce qui est certain, c'est que rien ne lui avait r��ussi et, qu'en fin de compte, il s'��tait vu contraint d'entrer au service du g��n��ral en qualit�� de lecteur-victime. Aucune humiliation ne lui fut ��pargn��e pour le pain qu'il mangeait.
Il est vrai qu'�� la mort du g��n��ral, quant Foma Fomitch passa tout �� coup au rang de personnage, il nous assurait que sa condescendance �� l'emploi de bouffon n'avait ��t�� qu'un sacrifice �� l'amiti��. Le g��n��ral ��tait son bienfaiteur; �� lui seul, Foma, cet incompris avait confi�� les grands secrets de son ame et si lui, Foma, avait consenti, sur l'ordre de son ma?tre, �� pr��senter des imitations de toutes sortes d'animaux et autres tableaux vivants, c'��tait uniquement pour distraire et ��gayer ce martyr, cet ami perclus de douleurs. Mais ces assertions de Foma Fomitch sont sujettes �� caution.
En m��me temps et du vivant m��me du g��n��ral, Foma Fomitch jouait un r?le tout diff��rent dans les appartements de Madame. Comment en ��tait-il venu l��? C'est une question assez d��licate �� r��soudre pour un profane quand il s'agit de pareils myst��res. Toujours est- il que la g��n��rale professait pour lui une sorte d'affection pieuse et de cause inconnue. Graduellement, il avait acquis une extraordinaire influence sur la partie f��minine de la maison du g��n��ral, influence analogue �� celle exerc��e sur quelques dames par certains sages et pr��dicateurs de maisons d'ali��n��s.
Il donnait des lectures salutaires �� l'ame, parlait avec une ��loquence larmoyante des diverses vertus chr��tiennes, racontait sa vie et ses exploits. Il allait �� la messe et m��me �� matines, proph��tisait dans une certaine mesure, mais il
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