Cantique de Noël | Page 9

Charles Dickens
s'écria-t-il, pour avoir oublié que chaque homme doit s'associer, pour sa part, au grand travail de l'humanité, prescrit par l'être suprême, et en perpétuer le progrès, car cette terre doit passer dans l'éternité avant que le bien dont elle est susceptible soit entièrement développé: pour avoir oublié que l'immensité de nos regrets ne pourra pas compenser les occasions manquées dans notre vie! et cependant c'est ce que j'ai fait: oh! oui, malheureusement, c'est ce que j'ai fait!
-- Cependant vous f?tes toujours un homme exact, habile en affaires, Jacob, balbutia Scrooge qui commen?ait en ce moment à faire un retour sur lui-même.
-- Les affaires! s'écria le fant?me en se tordant de nouveau les mains. C'est l'humanité qui était mon affaire; c'est le bien général qui était mon affaire; c'est la charité, la miséricorde, la tolérance et la bienveillance; c'est tout cela qui était mon affaire. Les opérations de mon commerce n'étaient qu'une goutte d'eau dans le vaste océan de mes affaires.?
Il releva sa cha?ne de toute la longueur de son bras, comme pour montrer la cause de tous ses stériles regrets, et la rejeta lourdement à terre.
?C'est à cette époque de l'année expirante, dit le spectre, que je souffre le plus. Pourquoi ai-je alors traversé la foule de mes semblables toujours les yeux baissés vers les choses de la terre, sans les lever jamais vers cette étoile bénie qui conduisit les mages à une pauvre demeure? N'y avait-il donc pas de pauvres demeures aussi vers lesquelles sa lumière aurait pu me conduire??
Scrooge était très effrayé d'entendre le spectre continuer sur ce ton, et il commen?ait à trembler de tous ses membres.
?écoutez-moi, s'écria le fant?me. Mon temps est bient?t passé.
-- J'écoute, dit Scrooge; mais épargnez-moi, ne faites pas trop de rhétorique, Jacob, je vous en prie.
-- Comment se fait-il que je paraisse devant vous sous une forme que vous puissiez voir, je ne saurais le dire. Je me suis assis mainte et mainte fois à vos c?tés en restant invisible.?
Ce n'était pas une idée agréable. Scrooge fut saisi de frissons et essuya la sueur qui découlait de son front.
?Et ce n'est pas mon moindre supplice, continua le spectre... Je suis ici ce soir pour vous avertir qu'il vous reste encore une chance et un espoir d'échapper à ma destinée, une chance et un espoir que vous tiendrez de moi, Ebenezer.
-- Vous f?tes toujours pour moi un bon ami, dit Scrooge. Merci.
-- Vous allez être hanté par trois esprits?, ajouta le spectre.
La figure de Scrooge devint en un moment aussi pale que celle du fant?me lui-même.
?Est-ce là cette chance et cet espoir dont vous me parliez, Jacob? demanda-t-il d'une voix défaillante.
-- Oui.
-- Je... je... crois que j'aimerais mieux qu'il n'en f?t rien, dit Scrooge.
-- Sans leurs visites, reprit le spectre, vous ne pouvez espérer d'éviter mon sort. Attendez-vous à recevoir le premier demain quand l'horloge sonnera une heure.
-- Ne pourrais-je pas les prendre tous à la fois pour en finir, Jacob? insinua Scrooge.
-- Attendez le second à la même heure la nuit d'après, et le troisième la nuit suivante, quand le dernier coup de minuit aura cessé de vibrer. Ne comptez pas me revoir, mais, dans votre propre intérêt, ayez soin de vous rappeler ce qui vient de se passer entre nous.?
Après avoir ainsi parlé, le spectre prit sa mentonnière sur la table et l'attacha autour de sa tête comme auparavant. Scrooge le comprit au bruit sec que firent ses dents lorsque les deux machoires furent réunies l'une à l'autre par le bandage. Alors il se hasarda à lever les yeux et aper?ut son visiteur surnaturel debout devant lui, portant sa cha?ne roulée autour de son bras.
L'apparition s'éloigna en marchant à reculons; à chaque pas qu'elle faisait, la fenêtre se soulevait un peu, de sorte que, quand le spectre l'e?t atteinte, elle était toute grande ouverte. Il fit signe à Scrooge d'approcher; celui-ci obéit. Lorsqu'ils furent à deux pas l'un de l'autre, l'ombre de Marley leva la main et l'avertit de ne pas approcher davantage. Scrooge s'arrêta, non pas tant par obéissance que par surprise et par crainte; car, au moment où le fant?me leva la main, il entendit des bruits confus dans l'air, des sons incohérents de lamentation et de désespoir, des plaintes d'une inexprimable tristesse, des voix de regrets et de remords. Le spectre, ayant un moment prêté l'oreille, se joignit à ce choeur lugubre, et s'évanouit au sein de la nuit pale et sombre.
Scrooge suivit l'ombre jusqu'à la fenêtre, et, dans sa curiosité haletante, il regarda par la croisée.
L'air était rempli de fant?mes errant ?à et là, comme des ames en peine, exhalant, à mesure qu'ils passaient, de profonds gémissements. Chacun d'eux tra?nait une cha?ne comme le spectre de Marley; quelques-uns, en petit nombre (c'étaient peut-être des cabinets de ministres complices d'une même politique), étaient encha?nés ensemble; aucun n'était libre.
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 44
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.