Cantique de Noël | Page 6

Charles Dickens
qu'éprouvait Scrooge à sa vue ne semblait pas du fait de la figure, elle venait plut?t de lui- même et ne tenait pas à l'expression de la physionomie du défunt. Lorsqu'il eut considéré fixement ce phénomène, il n'y trouva plus qu'un marteau.
Dire qu'il ne tressaillit pas ou que son sang ne ressentit point une impression terrible à laquelle il avait été étranger depuis son enfance, serait un mensonge. Mais il mit la main sur la clef, qu'il avait lachée d'abord, la tourna brusquement, entra et alluma sa chandelle.
Il s'arrêta, un moment irrésolu, avant de fermer la porte, et commen?a par regarder avec précaution derrière elle, comme s'il se f?t presque attendu à être épouvanté par la vue de la queue effilée de Marley s'avan?ant jusque dans le vestibule. Mais il n'y avait rien derrière la porte, excepté les écrous et les vis qui y fixaient le marteau; ce que voyant, il dit: ?Bah! bah!? en la poussant avec violence.
Le bruit résonna dans toute la maison comme un tonnerre. Chaque chambre au-dessus et chaque futaille au-dessous, dans la cave du marchand de vin, semblait rendre un son particulier pour faire sa partie dans ce concert d'échos. Scrooge n'était pas homme à se laisser effrayer par des échos. Il ferma solidement la porte, traversa le vestibule et monta l'escalier, prenant le temps d'ajuster sa chandelle chemin faisant.
Vous parlez des bons vieux escaliers d'autrefois par où l'on aurait fait monter facilement un carrosse à six chevaux ou le cortège d'un petit acte du parlement; mais moi, je vous dis que celui de Scrooge était bien autre chose; vous auriez pu y faire monter un corbillard, en le prenant dans sa plus grande largeur, la barre d'appui contre le mur, et la portière du c?te de la rampe, et c'e?t été chose facile: il y avait bien assez de place pour cela et plus encore qu'il n'en fallait. Voilà peut-être pourquoi Scrooge crut voir marcher devant lui, dans l'obscurité, un convoi funèbre. Une demi-douzaine des becs de gaz de la rue auraient eu peine à éclairer suffisamment le vestibule; vous pouvez donc supposer qu'il y faisait joliment sombre avec la chandelle de Scrooge.
Il montait toujours, ne s'en souciant pas plus que de rien du tout. L'obscurité ne co?te pas cher, c'est pour cela que Scrooge ne la détestait pas. Mais avant de fermer sa lourde porte, il parcourut les pièces de son appartement pour voir si tout était en ordre. C'était peut-être un souvenir inquiet de la mystérieuse figure qui lui trottait dans la tête.
Le salon, la chambre à coucher, la chambre de débarras, tout se trouvait en ordre. Personne sous la table, personne sous le sofa; un petit feu dans la grille; la cuiller et la tasse prêtes; et sur le feu la petite casserole d'eau de gruau (car Scrooge avait un rhume de cerveau). Personne sous son lit, personne dans le cabinet, personne dans sa robe de chambre suspendue contre la muraille dans une attitude suspecte. La chambre de débarras comme d'habitude: un vieux garde-feu, de vieilles savates, deux paniers à poisson, un lavabo sur trois pieds et un fourgon.
Parfaitement rassuré, Scrooge tira sa porte et s'enferma à double tour, ce qui n'était point son habitude. Ainsi garanti de toute surprise, il ?ta sa cravate, mit sa robe de chambre, ses pantoufles et son bonnet de nuit, et s'assit devant le feu pour prendre son gruau.
C'était, en vérité, un très petit feu, si peu que rien pour une nuit si froide. Il fut obligé de s'asseoir tout près et de le couver en quelque sorte, avant de pouvoir extraire la moindre sensation de chaleur d'un feu si mesquin qu'il aurait tenu dans la main. Le foyer ancien avait été construit, il y a longtemps, par quelque marchand hollandais, et garni tout autour de plaques flamandes sur lesquelles on avait représenté des scènes de l'écriture. Il y avait des Ca?n et des Abel, des filles de Pharaon, des reines de Saba, des messagers angéliques descendant au travers des airs sur des nuages semblables à des lits de plume, des Abraham, des Balthazar, des ap?tres s'embarquant dans des bateaux en forme de saucière, des centaines de figures capables de distraire sa pensée; et cependant, ce visage de Marley, mort depuis sept ans, venait, comme la baguette de l'ancien prophète, absorber tout le reste. Si chacune de ces plaques vernies e?t commencé par être un cadre vide avec le pouvoir de représenter sur sa surface unie quelques formes composées des fragments épars des pensées de Scrooge, chaque carreau aurait offert une copie de la tête du vieux Marley.
?Sottise!?, dit Scrooge; et il se mit à marcher dans la chambre de long en large.
Après plusieurs tours, il se rassit. Comme il se renversait la tête dans son fauteuil, son regard s'arrêta par hasard sur une sonnette
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