CEtait ainsi... | Page 2

Cyriel Buysse
r��servoirs. C'��tait, sous les solives basses, un vacarme effroyable; �� mesure qu'augmentait la pression, les pilons dansaient en rebondissant plus haut et plus fort sur le bois dur et coinc��; on ne s'entendait plus; s'il avait un mot �� dire, l'homme devait le hurler �� l'oreille de l'autre. Jusqu'au moment enfin o�� une sonnette, apr��s le soixanti��me coup, leur indiquait m��caniquement le temps de d��clencher le chasse-coin: deux �� trois chocs sourds, et cela d��gageait toute la presse, en un ��branlement de cataclysme. Alors ils extrayaient des ��treindelles les tourteaux durs comme planches, y aplatissaient d'autres sacs remplis et les remettaient dans les presses; et la danse sauvage recommen?ait, faisant trembler les murs et craquer les mortaises.
Les hommes peinaient, manches retrouss��es, tout luisants de graisse et d'huile. Une odeur fade flottait en bu��e sous le plafond bas et sombre et le sol ��tait gluant, comme s'il e?t ��t�� enduit de savon. Bient?t aussi le meunier ��tait �� l'ouvrage; et au pesant vacarme des pilons, le moulin m��lait son tic-tac saccad�� et rageur. Parfois les deux moulins �� bl�� marchaient en m��me temps; alors la charge devenait trop forte pour la machine, dont le r��gulateur ralenti laissait pendre ses lourdes boules de cuivre, comme des t��tes d'enfants fatigu��s. En vain le chauffeur bourrait-il de charbon son foyer; le moteur essouffl�� n'en pouvait plus. Il fallait que le meunier fin?t par lui retirer une des meules; et aussit?t la machine reprenait haleine et faisait tournoyer ses boules de cuivre, comme en une ronde folle de joyeuse d��livrance. Puis tout se r��gularisait et le travail continuait en une monotonie sans fin.
A huit heures, les ouvriers avaient trente minutes de r��pit pour d��jeuner. Lorsque le temps ��tait beau, ils mangeaient leurs tartines dans la cour de la fabrique, align��s contre le mur cr��pi �� la chaux blanche. Ranim��s par l'air pur du matin, ils ��changeaient des propos enjou��s. A huit heures et demie, les pilons se remettaient �� bondir et cela durait alors jusqu'�� midi, avec la seule distraction de la goutte de geni��vre que leur apportait vers dix heures Sefietje, la vieille servante de M. de Beule. C'��tait un moment exquis. On avalait l'alcool d'une lamp��e et sentait sa chaleur descendre jusqu'au fond du corps. Pour s?r, ?a vous descendait plus bas que l'estomac. Ils en ��taient tout ragaillardis et la plupart, dans la tr��pidation des pilons, allumaient vivement une pipette ou se bourraient la bouche d'une chique de tabac. Parfois m��me, au milieu du vacarme, on entendait une chanson. Dommage qu'on ne vous donnait jamais qu'un seul petit verre. Comme un deuxi��me vous aurait fait du bien! A midi la machine s'arr��tait et ils allaient d��jeuner. Certains d'entre eux demeuraient assez loin de la fabrique, et il leur fallait se d��p��cher pour ��tre de retour �� une heure. Ceux qui restaient plus pr��s avaient parfois le temps de faire une petite sieste. A deux ou trois qui habitaient trop loin, leur femme ou leurs enfants apportaient le manger dans une gamelle qu'ils tenaient au chaud sur le foyer des presses.
Une heure, et les pilons de recommencer leur danse sauvage. A quatre heures, les hommes avalaient encore une tartine en buvant du caf�� clair; puis les pilons reprenaient leur vacarme assourdissant et monotone jusqu'�� huit heures, avec une nouvelle lueur de joie lorsque, sur le coup de six heures, Sefietje leur apportait la goutte du soir.
Ces fins de journ��e ��taient souvent d'une accablante m��lancolie. Le soir tombait; de grandes ombres fauves se glissaient sous les poutres massives du plafond bas; et par les larges baies de la salle des machines, les ouvriers voyaient le soleil couchant dorer les pelouses et les grands arbres du beau jardin de M. de Beule. Une sorte de tristesse nostalgique se lisait dans leurs yeux fatigu��s. Ils ne fredonnaient plus de chansons; ils ne parlaient plus. Ils se mouvaient plus lentement, comme des ombres, sous l'ouragan continu des coups. Bient?t une ouvri��re venait allumer les lampes, de simples lampes �� p��trole qui fumaient et dont la flamme vacillante dansait au choc des pilons. Alors tout semblait prendre un aspect ��trange, s'impr��ciser comme si le travail s'achevait dans une atmosph��re irr��elle de cauchemar. Les ��normes meules verticales, toutes luisantes d'huile, se pourchassaient l'une l'autre en une ronde obstin��e et sans fin; les pilons dansaient une sarabande de spectres; et les fournaises ouvertes montraient des gueules rouges, qui lentement se ternissaient de cendre, comme des feux de bivouac abandonn��s.
Les ouvriers secouaient la poussi��re de leurs v��tements et rabattaient leurs manches de chemise sur les poignets. Ils donnaient un coup de balai aux dalles autour des presses; et enfin tintait dans la salle des machines la sonnette de d��livrance, qui marquait le bout de l'interminable journ��e de labeur.
Progressivement, le moteur ralentissait sa marche. Les pilons immobilis��s restaient suspendus �� des cables
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