c'était la crapule et rien de plus. Il l'a bien prouvé à table et ailleurs. Dans une ou deux conversations que je me souviens d'avoir eu dans ma jeunesse avec le vieil Ouvrard, j'en ai plus appris sur le ménage Tallien qu'il n'en faut pour fixer mes doutes, s'il m'en pouvait rester, sur la moralité des Thermidoriens.
Le correspondant de Mme de Charrière nous dépeint M. Benjamin Constant, sous la figure de ce qu'on nommait alors un muscadin. Pour les airs et le costume, se rappeler les gravures du temps. Comme à Lausanne il est fort silencieux. ?On ne le prend pourtant pas pour un sot.? Il est lié avec l'auteur des Mémoires d'un détenu, Riouffe, un des hableurs qui se vantaient d'avoir rétabli l'ordre social, parce qu'ils avaient ramené la France aux mauvaises moeurs du règne de Louis XV.
Ses autres amis sont Chénier, Daunou et le petit Louvet; Adolphe et Faublas.
Au salon de Mme de Sta?l, Talleyrand, de retour en France, occupait le premier rang et tendait les fils de ses intrigues.
C'est dans ce monde du Directoire que brille M. Benjamin Constant. Parisien d'esprit et de droit, car il s'est fait naturaliser Fran?ais en vertu de la loi du 15 décembre 1790, qui accordait les droits civiques aux protestants issus de famille expulsées jadis pour cause de religion.
Ce grand monde parisien, et surtout le salon de l'ambassadrice, le correspondant de Mme de Charrière a le courage de le lui écrire: ?lui vaut mieux que le petit cabinet de Colombier.?
Il s'en excuse et ajoute: ?Vous ne serez pas fachée contre moi, n'est-ce pas? Si vous n'étiez pas si sauvage, que vous voulussiez rassembler dans votre cabinet vingt-cinq personnes, que l'un f?t girondin, l'autre thermidorien, l'autre platement aristocrate, l'autre constitutionnel, un autre jacobin, dix autres rien, alors j'aimerais à voir Constant écouté de tous à Colombier et go?té par tous. Le salon d'ici lui va mieux. S'il n'y passait que deux heures par jour, il serait pour lui la meilleure étude. Mais, hélas! il y passe dix-huit heures, il ne vit plus que dans ce salon, et le salon le fatigue, il n'en peut plus. Sa santé se délabre, son physique si grêle souffre déjà...? Adolphe se vo?te, pense à la retraite et soupire après les heures paisibles des petites principautés allemandes. Il s'endort à déjeuner en mangeant des cerises avec Riouffe.
La première brochure avait pour titre: De la Force du Gouvernement actuel et de la nécessité de s'y rallier. Le Moniteur l'imprima avec un éloge mêlé pourtant de quelque réserve. M. Benjamin Constant était trop assidu auprès de Mme de Sta?l, pour qu'on ne le soup?onnat pas d'appartenir à la faction qui s'opposait à la réélection des deux tiers de la convention.
M. Lo?ve-Weimar, dont il faut ici suivre les indications, publiées dans un article de la Revue des Deux-Mondes du 1er février 1844, prétend que M. Benjamin Constant écrivit trois articles contre ces décrets. M. de Loménie met ces articles en doute et déclare n'avoir pu les retrouver s'ils existent.
La situation politique de M. Benjamin Constant nous para?t mieux expliquée dans l'article d'un de ses amis et contemporains, M. Pagès (de l'Ariége)[2].
[Note 2: Voir le Dictionnaire de la Conversation.]
La faiblesse du Directoire donnait naissance à des situations mal définies: ?Le club de Clichy luttait contre la révolution tout entière. Le club constitutionnel de Salm luttait à la fois contre les hommes de la terreur et contre ceux du royalisme. Les haines s'envenimèrent.? Les Jacobins avaient le club du Manége.
à ces nuances, il faut ajouter celle des adversaires de la réélection des deux tiers de la convention citée plus haut. Cette nuance créait un schisme dans le club de Salm, dont M. Benjamin Constant fut le secrétaire. Mais les nuances de ce genre qui ne peuvent servir que d'appoint aux réactions, sont promptement emportées par le courant contre-révolutionnaire.
Le club constitutionnel de l'h?tel de Salm, essayait de réaliser au profit de la République la politique du juste-milieu. Dans le fond, par leurs moeurs, par la tournure de leur esprit, les républicains de l'h?tel de Salm inclinaient purement et simplement vers la monarchie constitutionnelle.
En publiant des brochures portant pour titre: Des effets de la Terreur, dans un moment de réaction politique, il est évident qu'on contribue soi-même à accélérer le mouvement de ces réactions.
Personne, aujourd'hui, excepté les historiographes consciencieux, ne feuillette ces écrits de circonstance. Ils passeraient aujourd'hui pour des lieux communs. Le style de tribune (défaut ordinaire des écrivains orateurs) dans lequel ils sont con?us, n'est point de nature à les sauver de l'oubli.
Ces divers opuscules ont été publiés en 1829 sous le titre de Mélanges littéraires et politiques.
Le coup d'état du 18 fructidor permit de juger le caractère politique de M. Benjamin Constant. Il n'y a pas de meilleure pierre de touche pour les caractères, dans la vie publique, que les événements
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