Benjamin Constant | Page 8

Hippolyte Castille
de ce genre.
Dans un discours prononc�� au club de Salm, il articula des paroles qu'il contredit plus tard, mais dans lesquelles il donnait alors son approbation au coup d'��tat. Cela n'��tait pas tr��s-cons��quent avec le lib��ralisme de ses opinions. Rien de plus fr��quent d'ailleurs que cette incons��quence chez les lib��raux. La haine de la r��volution, si mal comprise pendant longtemps, les rejetait dans toutes les circonstances p��rilleuses du c?t�� du despotisme.
Avant le 18 fructidor, la ligne politique de M. Benjamin Constant, par cela m��me qu'elle ��tait douteuse, l'exposait aux r��criminations et aux attaques de tous les partis. Il eut un duel avec un journaliste nomm�� Sibuet. Le duel faisait aussi partie de la politique du temps. Il repara?t de temps en temps en France dans le monde politique et litt��raire, o�� il semble se concentrer; ce qui prouve uniquement que l'amour-propre est plus d��velopp�� dans les classes intellectuelles qu'ailleurs.
La r��action allait grand train. M. Benjamin Constant reprit alors ce r?le de frondeur qui n'a peut-��tre pas ��t�� sans utilit�� en France �� diverses ��poques de notre histoire, mais qu'il n'en faut pas moins consid��rer comme un ingr��dient politique dangereux aussi peu conforme au g��nie de la monarchie qu'�� celui d'une d��mocratie ��galitaire et gouvernementale comme la d��mocratie fran?aise.
Au tribunat, dont il fit partie apr��s le 18 brumaire, M. Benjamin Constant essaya de faire de l'opposition parlementaire comme s'il e?t ��t�� �� la chambre des communes ou �� l'assembl��e constituante. Mais les temps ��taient chang��s. Par un abus de pouvoir qui faisait pressentir la grande dictature militaire sous laquelle la France allait tomber, Bonaparte ��pura (Mme de Sta?l disait ��cr��ma) le tribunat.
Depuis soixante ans, en France, les ��v��nements ont si compl��tement domin�� les hommes et viol�� si manifestement le droit apparent et la justice ��crite, que ces ��v��nements n'ont souvent ��t�� compris ni par ceux qui les accomplissaient ni par ceux qui les subissaient. De telle sorte, qu'au point de vue individuel, ils sont rest��s crime pour celui qui les a commis, vertu pour qui s'y est oppos��. Ce sont les destin��es de la R��volution qui, en vue d'un droit et d'une justice sup��rieurs, poursuit sa marche �� travers les institutions presqu'aussit?t bris��es qu'elles ont ��t�� cr����es.
La phase militaire de la R��volution ne fut comprise que comme l'expression de l'ambition et du g��nie d'un homme superposant sa volont�� �� la loi. C'��tait n'en voir que le c?t�� mesquin et humiliant.
Le salon de Mme de Sta?l ne vit que ce c?t��-l��. Avec tout l'esprit qui s'y trouvait, on ne s'y ��leva pas jusqu'�� cette pens��e alti��re et r��publicaine: que les grands hommes sont de fragiles instruments engendr��s par et dans la mesure des situations, pour la d��duction logique des faits ant��rieurs. Ce sont les anneaux apparents de la cha?ne historique des nations. Mais quoique leur utilit�� soit incontestable, il n'est pas moins certains pour quiconque m��dite l'histoire des soci��t��s humaines, que ces hommes ne sont pas individuellement indispensables. Les id��es se d��veloppent sous la loi d'une harmonie pareille �� celle qui conduit les astres et les mondes, les peuples marchent sous l'inspiration de cette loi du d��veloppement des id��es et les grands hommes qui d��passent ?�� et l�� les multitudes et qui semblent les guider, ne les guident pas plus que le boeuf qui prend la t��te du troupeau ne guide le troupeau chass�� par un ��tre sup��rieur: le bouvier, c'est-��-dire l'homme.
Mais il est utile pourtant �� la marche des affaires humaines, �� sa r��gularisation, que certains hommes prennent les devants et se pr��cipitent les premiers dans les voies de la Providence.
Dans le salon de Mme de Sta?l, devenu l'asile des tribuns ��limin��s, on fit de l'esprit sur le grand homme; on croisa vaillamment la parole contre le sabre, ce qui ��tait plus courageux que prudent et qu'intelligent, peut-��tre. Il y a des instants ou la parole est �� la hache et au glaive. L'esprit doit alors laisser passer, avec cette pens��e que le sang humain ne coule pas en vain et qu'il a son ��loquence plus retentissante que les chuchotteries d'un cercle ��l��gant r��uni autour d'une chemin��e de boudoir.
Les hommes comme Napol��on qui vont si furieusement �� la destin��e, s'impatientent du moindre obstacle. Le salon de Mme de Sta?l fut dispers�� comme un petit amas de feuilles s��ches sous le vent d'ouest.
M. Benjamin Constant, qui venait de publier sa brochure intitul��e les Suites de la contre-r��volution de 1660 en Angleterre, s'aper?ut, mais trop tard, que le mod��rantisme tout aussi bien que l'anarchie conduit au despotisme. Cet incons��quent alla en compagnie de la femme avec laquelle il avait contract�� une liaison si orageuse, transporter son joli bagage d'humour et d'esprit de salon, dans une petite cour litt��raire de l'Allemagne, la cour de Go?the et de Schiller, je veux dire celle de Weimar.
La bonne Allemagne, pays des r��ves, des l��gendes, des longs loisirs,
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