Benjamin Constant | Page 6

Hippolyte Castille
laiss�� prendre �� ces amours de vieilles femmes, fuit bien vite avec une secr��te confusion.
La correspondance continua longtemps encore, mais c'��tait jeu de beaux esprits bien plus que commerce amoureux.
La famille de M. Constant ne comprit rien �� son caract��re, qui, depuis quelques ann��es, s'��tait d��velopp��, mais d��velopp�� dans le sens d'une ironie dont ces bonnes ames n'avaient pas le secret. Il y a des gens heureux et m��diocres pour qui ces maladies de l'esprit ne sont m��me pas appr��ciables. Ces sages et ces praticiens de la vie domestique haussent les ��paules �� l'aspect de ces ��tres factices et incompris qui leur font un peu l'effet d'enfants indisciplin��s ou de com��diens, �� moins qu'ils ne les prennent pour des d��bauch��s ou des aigrefins.
La famille att��nue la rigueur un peu obtuse de ces jugements. Aussi M. Benjamin Constant fut-il seulement consid��r��, ainsi que le dit M. Sainte-Beuve, ?comme un tr��s-jeune homme sans cons��quence.?
Les Lausannais et les ��migr��s fran?ais furent plus s��v��res. M. Benjamin Constant se moqua des uns et des autres, afficha un r��publicanisme railleur, oscilla encore pendant un an, �� cause des instances de sa famille, entre Brunswick et la libert��, et revint �� Lausanne d��sesp��rer les bonnes gens du canton.
C'est pendant ce s��jour, en 1794, que M. Benjamin Constant fit la connaissance de Mme de Sta?l. Chacun sait que les bleues se d��testent comme des poitrinaires. Peut-��tre que le spectacle de leur propre maladie, chez les infortun��es afflig��es du mal d'��crire, leur rappelle trop visiblement leur condition. La jalousie aussi joue son r?le, et ce serait une chose fr��missante �� penser que dix bleues enferm��es dans une m��me cellule.
Mme de Charri��re, sans se douter qu'un jour Mme de Sta?l lui succ��derait dans l'imagination de M. Benjamin Constant, avait jet�� sur lui des pr��ventions contre celle qu'elle nommait l'ambassadrice. Mais les pr��ventions causent quelquefois le contraire de ce qu'on en pourrait attendre. La grace et l'esprit, dans un objet contre lequel nous sommes pr��venus, nous surprennent agr��ablement. La pr��vention ne saurait tenir contre des qualit��s r��elles, et notre mobile esprit passe souvent alors d'un extr��me �� l'autre.
�� la premi��re rencontre que M. Benjamin Constant fit de Mme de Sta?l, le 30 septembre 1794, �� Coppet, il commence �� trouver que Mme de Charri��re a jug�� un peu s��v��rement cette femme remarquable. Ce n'est pas uniquement une machine parlante, comme l'a charitablement insinu�� sans doute Mme de Charri��re. Il remarque en elle de l'imprudence sans doute, de l'activit�� par temp��rament, beaucoup de paroles, mais de la bont��, de la confiance, de l'abandon, de la bonne foi.
Trois semaines apr��s c'est bien autre chose. La mine est charg��e et l'explosion ��clate. De quel visage Mme de Charri��re en dut-elle recevoir le choc, quand, doublement vieillie par la douleur et par l'age, elle lut les lignes suivantes que M. Benjamin Constant lui adressait le 21 octobre �� propos de Mme de Sta?l:
?J'ai rarement vu une r��union pareille de qualit��s ��tonnantes et attrayantes, autant de brillant et de justesse, une bienveillance aussi expansive et aussi cultiv��e, autant de g��n��rosit��, une politesse aussi douce et aussi soutenue dans le monde, tant de charme, de simplicit��, d'abandon dans la soci��t�� intime. C'est la seconde femme que j'ai trouv��e qui m'aurait pu tenir lieu de tout l'univers, qui aurait pu ��tre un monde �� elle seule pour moi: vous savez quelle a ��t�� la premi��re. Mme de Sta?l a infiniment plus d'esprit dans la conversation intime que dans le monde; elle sait parfaitement ��couter, ce que ni vous ni moi ne pensions; elle suit l'esprit des autres avec autant de plaisir que le sien; elle fait valoir ceux qu'elle aime avec une attention ing��nieuse et constante, qui prouve autant de bont�� que d'esprit. Enfin, c'est un ��tre �� part, un ��tre sup��rieur tel qu'il s'en rencontre peut-��tre un par si��cle, et tel que ceux qui l'approchent, le connaissent et sont ses amis, doivent ne pas exiger d'autre bonheur.?
Ce n'est point un observateur impartial, on le comprend de reste. Il est conquis. C'est un amoureux.
Ici l'amour et la politique vont marcher de front, car partout o�� se trouve le salon mobile de Mme de Sta?l, la politique occupe une large place[1].
[Note 1: Voir notre portrait de Mme de Sta?l.]
Il est assez curieux d'y observer l'attitude de M. Benjamin Constant, saisie au vif dans une lettre ��crite par un ��migr�� �� Mme de Charri��re. Arriv�� �� Paris en 1795, M. Benjamin Constant s'��tait log�� rue du Colombier. ?J'ai cru voir dans ce choix un souvenir sentimental,? dit le correspondant de Mme de Charri��re.
M. Benjamin Constant venait de faire ses d��buts politiques par la publication de sa premi��re brochure.
On devine ce que peut ��tre sous le directoire l'homme, qui, le 14 octobre 1794, ��crivait �� Mme de Charri��re: ?Je suis devenu tout �� fait Tallieniste.? Si Tallien pouvait repr��senter quelque chose,
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