dit Jacques après qu'il eut terminé son récit; cependant je suis déterminé à tout entreprendre pour vous mériter. Me le permettez-vous?
--M'aimez-vous, Jacques? reprit la jeune fille de cette voix vibrante et douce qui sonnait comme le cristal.
--Si je vous aime! Je donnerais ma vie pour ma soeur Claudine; mais, mademoiselle, il me semble, et que Dieu me pardonne ce blasphème, que je donnerais le salut de mon ame pour vous!
--Je serai donc votre femme un jour, mon ami, reprit Suzanne en tendant sa main à Jacques, qui sentit son coeur se fondre à ces mots. Nous sommes bien jeunes tous deux, presque deux enfants, ajouta-t-elle avec un sourire, mais Dieu nous viendra en aide.
--J'ai le coeur fort! s'écria Jacques; ? mademoiselle, je vous gagnerai!
--J'y compte, et moi je vous promets de n'être jamais qu'à vous!
Jacques voulut baiser la main de Suzanne; mais Suzanne lui ouvrit ses bras, et les deux enfants s'embrassèrent. Tous deux étaient à la fois graves et ingénus. Ils croyaient à leur coeur.
--Allez et méritez-moi, reprit Suzanne, les joues humides et rougissantes; moi, je vous attendrai en priant Dieu.
Ils échangèrent un dernier serment et se séparèrent.
Jacques reprit le chemin de la maisonnette, sérieux, mais non plus triste. Il fit tout de suite part à Guillaume Grinedal de ce qui s'était passé dans la journée.
--Nous nous aimons, ajouta-t-il, et nous nous marierons.
Le père regarda les hirondelles qui fuyaient au loin dans le ciel bleu.
--Serments d'amoureux! dit-il en hochant sa tête chauve. Mais qu'ils durent ou qu'ils passent, il n'importe, mon fils, il faut partir.
--C'était mon intention, répondit Jacques.
Le père et le fils se serrèrent la main.
--La fille appartient au père, reprit Guillaume Grinedal; M. de Malzonvilliers a été bon pour nous, il ne faut pas qu'il t'accuse d'avoir voulu semer le désordre dans sa maison. Tu partiras demain sans chercher à revoir Suzanne.
Jacques hésita.
--Il le faut, répéta le vieillard.
--Je partirai, dit le fils; je partirai sans la revoir.
Vers le soir, à l'heure accoutumée, on s'assit autour de la table. Le d?ner fut silencieux. Jacques ne mangeait pas, et le refrain des chansons qu'il avait l'habitude de fredonner mourait sur ses lèvres. Claudine ne voulait pas parler, de peur d'éclater en sanglots; elle se détournait parfois pour s'essuyer les yeux. Jacques et Guillaume s'effor?aient de para?tre calmes, mais les morceaux qu'ils portaient à la bouche, ils les reposaient intacts sur leur assiette. Après la veillée, le père embrassa ses trois enfants; il retint Jacques plus longtemps sur son coeur.
--Va dormir, lui dit-il; mais auparavant, demande à Dieu du courage pour la vie qui, demain, commence pour toi.
Le père se retira, et les trois enfants se prirent à pleurer; ni l'un ni l'autre n'avait la force d'exprimer son chagrin, et chacun d'eux trouvait moins de paroles à dire que de baisers à donner. Vers la pointe du jour, la famille se réunit au seuil de la porte. Jacques avait chaussé de gros souliers et des guêtres; une ceinture de cuir serrait sa blouse de toile autour de sa taille; un petit havresac pendait sur ses épaules et sa main était armée d'un fort baton de houx. Pierre et Claudine sanglotaient. Jacques était un peu pale, mais son regard avait repris toute son assurance et sa fermeté.
--Où vas-tu, mon fils? dit le père.
Déjà, à cette époque, Paris était la ville magique, le centre radieux qui sollicitait toutes les intelligences actives, les esprits audacieux, les imaginations inquiètes. Jacques n'avait pas un instant songé aux détails du parti extrême qu'il avait choisi, cependant, à la question de son père, il répondit sans hésiter:
--A Paris.
--C'est une grande ville, pleine de périls et de surprises. Beaucoup y sont arrivés pauvres comme toi, qui en sont partis riches; mais mieux vaut en sortir misérable que d'y laisser l'honnêteté. Que Dieu te bénisse, mon fils.
Jacques s'agenouilla entre son frère et sa soeur, et Guillaume posa ses mains tremblantes sur le jeune front de son premier-né. Après qu'il se fut relevé, le père voulut glisser dans la main de Jacques une bourse où brillait de l'or, mais Jacques la lui rendit:
--Gardez cet or, lui dit-il; c'est la dot de Claudine; j'ai des bras, et dans mon havresac cinquante livres que j'ai gagnées.
Le père n'insista pas; mais, tirant de son sein un bijou attaché à un ruban, il le passa au cou de Jacques.
--Le reconnais-tu, Jacques? lui dit-il; c'est le médaillon perdu par l'étranger, il y a cinq ans. Tu l'as bien gagné, garde-le donc; si tu retrouves le gentilhomme auquel il appartient, tu le lui rendras, et peut-être se rappellera-t-il l'hospitalité de notre toit. Embrassons-nous maintenant, et que Dieu te conduise.
Jacques embrassa d'abord Guillaume et Pierre; Claudine était restée un peu en arrière; quand ce fut à son tour, elle sauta au cou de Jacques.
--Je t'embrasse pour moi, d'abord, lui dit-elle tout bas, si bas, que sa voix
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