son sourire quotidien. Lorsque Suzanne se promenait dans le jardin du fauconnier en compagnie des enfants et des animaux domestiques qui vivaient par l�� en bonne intelligence, elle offrait, avec Jacques, le plus ��trange contraste qui se p?t voir. Jacques ��tait grand, fort, vigoureux. Ses yeux noirs, pleins de fermet�� et d'��clat, brillaient sous un front bruni par le hale et tout charg�� d'��paisses boucles de cheveux blonds. Au moindre geste de ses bras, on comprenait qu'en un tour de main il aurait arrach�� un jeune arbre ou fait plier un boeuf sur ses jarrets; mais au moindre mot de Suzanne, il rougissait. Suzanne, au contraire, avait une exquise d��licatesse de formes et de traits; �� quinze ans elle paraissait en avoir douze ou treize �� peine; son visage pale, sa taille mince, ses membres fr��les indiquaient une organisation nerveuse d'une finesse extr��me. Ses pieds et ses mains appartenaient �� l'enfance. Mais le regard calme et rayonnant de ses grands yeux bleus pleins de vie et d'intelligence, les contours nets et fermes de sa bouche annon?aient en m��me temps la r��solution d'une ame honn��te et courageuse. Elle avait le corps d'une enfant et le sourire d'une femme. Lorsqu'il lui arrivait de s'endormir �� l'ombre d'un ch��ne, la t��te appuy��e sur l'��paule de Jacques, le pauvre gar?on restait immobile tant que durait le sommeil de sa petite amie, et, dans une muette contemplation, il admirait le jeune et pur visage qui reposait sur son coeur avec un si na?f abandon. Quand la jeune fille entr'ouvrait ses l��vres roses et s��rieuses, Jacques retenait son haleine pour mieux entendre. Son ame oscillait �� la voix de Suzanne comme le rameau du saule au moindre souffle du vent, et parfois il sentait, en l'��coutant, monter �� ses paupi��res des larmes dont la cause lui ��tait inconnue, mais dont la source divine s'��panchait dans son coeur.
Un jour du mois de mai 1658, cinq ans avant l'��poque o�� commence cette histoire, et peu de temps avant la glorieuse bataille des Dunes, Jacques, qui pouvait avoir alors treize ou quatorze ans, vit venir �� lui, tandis qu'il se promenait dans une prairie, �� une petite distance de Saint-Omer, un inconnu v��tu d'assez m��chants habits. On aurait pu le prendre pour quelque d��serteur, �� son accoutrement qui tenait autant du civil que du militaire, si l'��tranger n'avait ��t�� contrefait. On ne pouvait gu��re ��tre soldat avec une bosse sur l'��paule, et Jacques pensa que ce devait ��tre un colporteur. L'��tranger suivait un sentier trac�� par les mara?chers entre les plants de l��gumes, et se haussait parfois sur un tertre pour regarder par-dessus les haies, dans la campagne. Quand il fut proche de Jacques, il s'arr��ta et se mit �� le consid��rer un instant. Jacques ��tait appuy�� contre un gros pommier, les mains dans les poches d'une blouse en toile, sifflant entre ses dents. Apr��s quelques minutes de r��flexion, l'inconnu marcha vers lui.
--Es-tu de ce pays, mon gar?on? lui dit-il.
--Oui, monsieur, r��pondit Jacques.
Si l'on avait demand�� �� Jacques pourquoi il avait salu�� celui qu'il prenait pour un colporteur du nom de monsieur, il aurait ��t�� fort en peine de l'expliquer. L'��tranger avait un air qui imposait �� Jacques, bien que le fils de Guillaume Grinedal ne se laissat point intimider facilement. Il parlait, regardait et agissait avec une extr��me simplicit��, mais dans cette simplicit��, il y avait plus de noblesse et de fiert�� que dans toute l'importance de M. de Malzonvilliers.
--S'il en est ainsi, reprit l'inconnu, tu pourras sans doute m'indiquer quelqu'un en ��tat de faire une longue course �� cheval?
--Vous avez ce quelqu'un-l�� devant vous, monsieur.
--Toi?
--Moi-m��me.
--Mais, mon petit ami, tu me parais bien jeune! Sais-tu qu'il s'agit de faire au galop sept ou huit lieues sans d��brider?
--Ne vous mettez pas en peine de l'age; fournissez-moi seulement le cheval, et vous verrez.
L'��tranger sourit, puis il ajouta:
--Il est r��tif et plein de feu...
--J'ai bon bras et bon oeil, il peut courir...
--Viens donc; le cheval n'est pas loin.
L'inconnu et Jacques quitt��rent la prairie et entr��rent dans un petit bois. Tout au milieu, derri��re un fourr��, Jacques aper?ut un cheval qui piaffait en tournant autour d'un ormeau auquel il ��tait attach��. Un frein li�� sur ses naseaux l'emp��chait de hennir. Jacques n'avait jamais vu un si bel animal, m��me dans les ��curies de M. de Malzonvilliers. Il s'approcha du cheval, lui caressa la croupe, d��noua le frein qui l'irritait, et s'appr��tait �� sauter en selle, quand l'��tranger lui mit doucement la main sur l'��paule.
--Avant de partir, lui dit-il, au moins faut-il que tu saches o�� tu dois aller.
--C'est juste, r��pondit Jacques, qui avait d��j�� le pied �� l'��trier.
L'impatience de galoper sur un si fier cheval lui avait fait oublier le but de la course.
--Tu sais sans doute o�� est le petit village de Witternesse?
--Tr��s bien: �� une lieue �� peu pr��s, sur
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