par le vent. Puis arriva le temps des études, qui
consistaient à lire dans un grand livre sur les genoux du bonhomme Grinedal, et à écrire
sur une ardoise, ce qui n'empêchait pas qu'on trouvât encore le loisir de ramasser les
fraises dans les bois et les écrevisses dans les ruisseaux.
Jacques, l'aîné de la famille, était, à dix-sept ou dix-huit ans, un grand garçon qui
paraissait en avoir plus de vingt. Il n'était pas beau parleur, mais il agissait avec une
hardiesse et une résolution extrêmes aussitôt qu'il croyait être dans son droit. Sa force le
faisait redouter de tous les écoliers du faubourg et de la banlieue, comme sa droiture l'en
faisait aimer. On le prenait volontiers pour juge dans toutes les querelles d'enfants;
Jacques rendait son arrêt, l'appuyait au besoin de quelques bons coups de poing, et tout le
monde s'en retournait content. Quand il y avait une dispute et des batailles pour des
cerises ou quelque toupie d'Allemagne, aussitôt qu'on voyait arriver Jacques, les plus
tapageurs se taisaient et les plus faibles se redressaient; Jacques écartait les combattants,
se faisait rendre compte des causes du débat, distribuait un conseil aux uns, une taloche
aux autres, adjugeait l'objet en litige et mettait chacun d'accord par une partie de quilles.
Il lui arrivait parfois de s'adresser à plus grand et plus fort que lui; mais la crainte d'être
battu ne l'arrêtait pas. Dix fois terrassé, il se relevait dix fois; vaincu la veille, il
recommençait le lendemain, et tel était l'empire de son courage appuyé sur le sentiment
de la justice inné en lui, qu'il finissait toujours par l'emporter. Mais ce petit garçon
déterminé, qui n'aurait pas reculé devant dix gendarmes du roi, se troublait et balbutiait
devant une petite fille qui pouvait bien avoir quatre ans de moins que lui. Il suffisait de la
présence de Mlle Suzanne de Malzonvilliers pour l'arrêter au beau milieu de ses exercices
les plus violents. Aussitôt qu'il l'apercevait, il dégringolait du haut des peupliers où il
dénichait les pies, lâchait le bras du méchant drôle qu'il était en train de corriger, ou
laissait aller le taureau contre lequel il luttait. Il ne fallait à la demoiselle qu'un signe
imperceptible de son doigt, rien qu'un regard, pour faire accourir à son côté Jacques, tout
rouge et tout confus.
Le père de Mlle de Malzonvilliers était un riche traitant qui avait profité, pour faire
fortune, du temps de la Fronde, où tant d'autres se ruinèrent. Il ne s'était pas toujours
appelé du nom brillant de Malzonvilliers, qui était celui d'une terre où il avait mis le plus
clair de son bien; mais en homme avisé, il avait pensé qu'il pouvait, ainsi que d'autres
bourgeois de sa connaissance, troquer le nom roturier de son père contre un nom qui fit
honneur à ses écus. M. Dufailly était devenu progressivement et par une suite de
transformations habiles, d'abord M. du Failly, puis M. du Failly de Malzonvilliers, puis
enfin M. de Malzonvilliers tout court. Maintenant, il n'attendait plus que l'occasion
favorable de se donner un titre, baron ou chevalier. A l'époque où ses affaires
nécessitaient de fréquents voyages dans la province, et souvent même jusqu'à Paris, M.
de Malzonvilliers avait maintes fois confié la gestion de ses biens à Guillaume Grinedal,
qui passait pour le plus honnête artisan de Saint-Omer. Cette confiance, dont M. de
Malzonvilliers s'était toujours bien trouvé, avait établi entre le fauconnier et le traitant des
relations intimes et journalières, qui profitèrent aux trois enfants, Jacques, Claudine et
Pierre. Suzanne, qui était à peu près de l'âge de Claudine, avait des maîtres de toute
espèce, et les leçons servaient à tout le monde, si bien que les fils du père Guillaume en
surent bientôt plus long que la moitié des petits bourgeois de Saint-Omer.
Jacques profitait surtout de cet enseignement; comme il avait l'esprit juste et persévérant,
il s'acharnait aux choses jusqu'à ce qu'il les eût comprises. On le rencontrait souvent par
les champs, la tête nue, les pieds dans des sabots et un livre à la main, et il ne le lâchait
pas qu'il ne se le fût bien mis dans la tête. Une seule chose pouvait le détourner de cette
occupation, c'était le plaisir qu'il goûtait à voir son père manier les vieilles armes qu'on
lui apportait des quatre coins de la ville et des châteaux du voisinage pour les remettre en
état. Guillaume Grinedal était le meilleur arquebusier du canton; c'était un art qu'il avait
appris au temps où il était maître de fauconnerie chez M. d'Assonville, et qui lui aurait
rapporté beaucoup d'argent s'il avait voulu l'exercer dans l'espoir du gain. Mais, dans sa
condition, il agissait en artiste, ne voulant pas autre chose que le juste salaire de son
travail, qu'il estimait toujours moins qu'il ne valait. Jacques
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