Barnabé Rudge, Tome I | Page 2

Charles Dickens
désoeuvré ne se soucierait d'en compter par un jour de soleil; avec de grandes cheminées en zigzag d'où il semblait que la fumée elle-même ne pouvait sortir, quoi qu'elle en e?t, que sous des formes naturellement fantastiques, grace à sa tortueuse ascension; enfin avec de vastes écuries, sombres, tombant en ruine, et vides. Cette habitation passait pour avoir été construite à l'époque de Henry VIII, et il existait une légende comme quoi non seulement la reine Elisabeth, durant une excursion de chasse, avait couché là une nuit, dans une certaine chambre à boiseries de chêne avec fenêtre à large embrasure, mais encore comme quoi le lendemain, debout sur un montoir devant la porte, un pied à l'étrier, la vierge monarque avait donné de?à et delà force coups de poing et force soufflets à un pauvre page pour quelque négligence dans son service. Les gens positifs et sceptiques, en minorité parmi les habitués du Maypole, comme ils le sont malheureusement dans chaque petite communauté, inclinaient à regarder cette tradition comme un peu apocryphe; mais quand le ma?tre de l'antique h?tellerie en appelait au témoignage du montoir lui-même, quand d'un air de triomphe il faisait voir que le bloc était demeuré immobile à sa propre place jusqu'au jour d'aujourd'hui, les douteurs ne manquaient jamais d'être terrassés par une majorité imposante, et tous les vrais croyants triomphaient de leur défaite.
Que ces récits, et beaucoup d'autres du même genre, fussent authentiques ou controuvés, le Maypole n'en était pas moins réellement une vieille maison, une très vieille maison, aussi vieille peut-être qu'elle prétendait l'être, peut-être même plus vieille, ce qui arrive parfois aux maisons d'un age incertain tout comme aux dames d'un certain age. Ses fenêtres avaient de vieux carreaux à treillis, ses planchers étaient affaissés et inégaux, ses plafonds étaient noircis par la main du temps et alourdis par des poutres massives. Au-dessus de la porte et du passage était un ancien porche sculpté d'une fa?on bizarre et grotesque; c'est là que, les soirs d'été, les pratiques favorites fumaient et buvaient, et chantaient aussi, pardieu! quelquefois mainte bonne chanson, en se reposant sur des sièges à dossier élevé, de mine rébarbative, qui, semblables à des dragons jumeaux de je ne sais plus quel conte de fée, gardaient l'entrée du manoir.
Dans les cheminées des chambres hors d'usage, les hirondelles ma?onnaient leurs nids depuis de bien longues années, et, du commencement du printemps à la fin de l'automne, des colonies entières de moineaux gazouillaient au bord des toits et des gouttières. Il y avait dans la cour de la sombre écurie et sur les batiments extérieurs, plus de pigeons que n'en saurait compter tout autre amateur qu'un aubergiste. Les vols circulaires et tournoyants des pigeons mignons, des pigeons à queue en éventail, des pigeons culbutants, des pigeons francolins, ne s'accordaient peut-être pas complètement avec le caractère grave et sévère de l'édifice; mais le monotone roucoulement que ne cessaient d'entretenir, tant que durait le jour, quelques-uns de ces volatiles, seyait à merveille au Maypole et paraissait l'inviter à dormir. Avec ses étages superposés, ses petites vitres brouillées et comme assoupies, sa fa?ade bombante et surplombant sur la chaussée, la vieille maison avait l'air de pencher la tête dans son sommeil. Véritablement, il ne fallait pas un très grand effort d'imagination pour y découvrir d'autres ressemblances encore avec l'humanité. Les briques dont elle était batie avaient été primitivement d'un gros rouge foncé, mais elles étaient devenues jaunes et décolorées comme la peau d'un vieillard; les solides charpentes étaient tombées, comme tombent les dents d'une vieille machoire, et ?à et là le lierre, tel qu'un chaud vêtement propre à réconforter son grand age, enveloppait et serrait de ses vertes feuilles les murailles rongées par le temps.
C'était pourtant une vieillesse robuste encore et généreuse; et les soirs d'été ou d'automne, quand le soleil couchant illuminait les chênes et les chataigniers de la forêt voisine, la vieille maison, partageant leur éclat, semblait être leur digne compagne et pouvait se flatter d'avoir dans le corps beaucoup de bonnes années encore à vivre.
La soirée dont il s'agit pour nous n'était ni une soirée d'été ni une soirée d'automne, mais le crépuscule d'un jour de mars. Le vent hurlait alors d'une manière effrayante à travers les branches nues des arbres, et en grondant sourdement dans les amples cheminées, en fouettant la pluie contre les fenêtres de l'auberge du Maypole, il donnait à ceux des habitués qui s'y trouvaient en ce moment une incontestable raison d'y prolonger leur séance, en même temps qu'il permettait à l'aubergiste de prophétiser que le ciel devait s'éclaircir juste à onze heures sonnantes, ce qui co?ncidait étonnamment avec l'heure où il fermait toujours sa maison.
Le nom de celui sur lequel descendait ainsi l'inspiration prophétique, était John Willet, homme corpulent, à large tête, dont la face rebondie dénotait une profonde obstination
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