Autour de la table | Page 4

George Sand
d��dain pour l'ordonnance de la composition. Si quelque chose doit ��tre s��v��rement compos��, c'est une pi��ce de vers. B��ranger a la sagesse et l'art de la composition par excellence. Chaque id��e a, en lui, son d��veloppement n��cessaire et modestement arr��t�� �� sa limite rationnelle. L'ordre et la clart��, ces qualit��s exquises, sont-elles donc presque toujours inconciliables avec l'abondance et l'intensit�� de la flamme sacr��e? M. Victor Hugo semble tout le premier ��tre la preuve de cet accord possible. Certains chefs-d'oeuvre de lui l'attestent. Il ne lui pla?t donc pas toujours de faire de son mieux, et quelque d��sordre qu'il ait dans la pens��e, il ne peut donc se d��fendre de nous en imposer le trouble et l'��tonnement.
Je sais, ch��re et imp��rieuse Julie, ce que vous allez me dire: Ce po?te est un intr��pide cavalier. Son P��gase, �� lui, est un cheval terrible, un dragon de feu: convenez donc qu'il ne peut pas toujours le gouverner. Qu'il lui plaise ou non d'augmenter son allure ou de la mod��rer pour traverser le monde de ses r��ves, il est parfois emport�� majestueusement dans l'espace, parfois ralenti et encha?n�� dans le vague de son r��ve, comme un paladin dans quelque for��t enchant��e. Cette lyre merveilleuse n'ob��it donc pas toujours �� la main, cependant merveilleusement habile, qui la fait vibrer. Elle se met quelquefois �� jouer toute seule comme la harpe de ce ma?tre chanteur d'Hoffmann, qui s'��tait laiss�� poss��der d'un esprit terrible; et on l'��coute alors comme on ��coutait Henri de Ofterdingen, c'est-��-dire avec stupeur, avec effroi, avec souffrance. On se demande les uns aux autres: O�� va-t-il? qu'a-t-il voulu nous dire, ou plut?t que refuse-t-il de nous dire? Est-ce de l'enfer qu'apr��s ces chants sublimes lui viennent tout �� coup ces rugissements myst��rieux et ces ricanements amers?
Eh bien, il s'est pass�� des ann��es pendant lesquelles le po?te, livr�� aux soins du monde r��el, a paru quitter le d��sert de la r��verie pour traverser le d��sert des hommes, et voici que, toujours portant en croupe son g��nie familier, ange ou d��mon, qu'importe? il repara?t �� la Wartbourg, pour remporter le pris du chant: voyons, lisez.
On le voit, c'��tait ici, autour de la table, comme partout dans le monde, un grand ��v��nement litt��raire. Et c'est plus que cela pour quiconque r��fl��chit: c'est un ��v��nement social et philosophique. Un grand changement a d? s'op��rer chez le po?te. Il a franchi des mers, il a travers�� des ab?mes, il a d? vieillir, se calmer ou se lasser, devenir sage.
Eh bien, pas du tout, et voil�� le merveilleux de la chose; il est rest�� lui, il n'a pas vieilli d'un jour, quoi qu'il dise; il est plus fougueux, plus agit�� que jamais. Seulement, il a ��norm��ment grandi, et, en s'��loignant toujours des routes fray��es, il a laiss�� toute critique sous ses pieds, parce qu'il a mont�� jusqu'aux cimes de son olympe romantique. Qui pouvait l'emp��cher? Th��odore en convient tout le premier: personne! Si c'est une ��normit��, une chose effroyable et d��sesp��rante, comment et pourquoi n'a-t-on pas su l'arr��ter? O�� sont les po?tes que l'��cole classique a pouss��s contre lui? O�� est son rival? Qui a os�� se mesurer contre un tel champion? Qui mettra-t-on en regard de lui dans une voie oppos��e? Tout ce qui ��crit ou pense est, aujourd'hui, partisan de la libert�� absolue de conscience et d'allure dans les arts. L'��cole classique existe-t-elle encore? D'o�� vient qu'elle n'a trouv�� personne pour la repr��senter dans un combat singulier contre ce Cid superbe? Il a eu beau crier: Paraisses, Navarrois!... Personne n'a voulu se montrer.
Ce po?te nous donne donc aujourd'hui un tr��s-grand spectacle, qui est d'avoir triomph�� de son vivant, sans avoir fait la moindre concession aux exigences plus au moins l��gitimes de ses contemporains. Il a eu raison contre ceux qui avaient tort, et aussi contre ceux qui pouvaient avoir raison.
--Et voyez! nous disait Julie, le coude appuy�� sur la table du soir et le menton dans sa main, encore pale d'enthousiasme et l'oeil brillant; voyez si ce n'est pas heureux qu'il ait eu foi en lui-m��me? On a eu beau lui crier casse-cou, il n'a rien ��vit��, rien tourn��, et le voil�� au sommet qu'il avait r��v��, vous disant son fameux eh bien? et vous invitant �� le suivre... si vous pouvez!
On avait lu Villequier, R��ponse �� un acte d'accusation (les deux articles), la R��ponse au marquis, et cette ��trange vision baptis��e d'un nom ��trange: Ce que dit la bouche d'Ombre. Nous disions tous comme Julie, et Louise relisait tout bas Villequier. Elle posa ensuite le livre sur la table sans rien dire, et reprit sa tapisserie; mais des larmes coulaient furtivement sur ses fleurs, et elle laissa discuter sans rien entendre. J'aimais assez, moi qui l'observais, cette mani��re d'avoir son avis.
Th��odore avait accapar�� les deux volumes, et il les feuilletait. Quand il nous eut laiss��
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