docilité qui n'est pas le fait des grands po?tes. Ceux qui, comme vous, s'absorbent de bonne heure dans les études philosophiques vivent de bonne heure sur le fonds amassé par les autres, et se font aisément un ensemble d'idées à leur usage. Tout adepte d'une science posée et définie procède du connu à l'inconnu, et, tra?né sans secousse dans la voiture suspendue et arrangée par ses ma?tres, avance avec une tranquillité sage vers les sublimes horizons. Le vrai po?te n'est pas né métaphysicien. Ce qu'il a appris facilement, il l'oublie de même. Emporté par ses propres ailes, il veut aller au hasard, tout tirer de son propre fonds et découvrir tout sans rien chercher. Il ne médite guère; il rêve et contemple, il s'agite et il souffre. Instrument exquis, il ne peut vibrer que sous un souffle libre et divin. Nulle main humaine ne peut effleurer ses cordes sans les briser ou les faire détonner.
Souvenez-vous que la poésie ne s'enseigne pas. Vous ferez des savants, des industriels, des érudits, des géomètres, des théologiens, des administrateurs, des virtuoses même; vous donnerez tout par l'éducation, hormis la haute révélation de l'art, hormis l'inspiration de la véritable poésie. Aucun livre, aucun professeur, aucun enseignement, aucun conseil même, n'a jamais pu et ne pourra jamais faire un po?te, un artiste; ne vous étonnez donc pas qu'un vrai po?te vibre et frissonne à tous les vents qui passent. Plus il est grand, plus le tressaillement est profond et invincible.
Vous vous levez tranquille et serein, vous, mon digne et cher ami. Vous mettez votre manteau ou votre chapeau de paille, selon le temps qu'il fait. Vous sortez avec un livre ou avec le souvenir d'un livre pour regarder la nature et vous-même; et si votre propre logique s'en mêle, c'est grace à une foule de notions acquises qui vous ont fait un tempérament doux, une philosophie soutenue, une individualité arrêtée: je ne dis pas arrêtée stupidement et à jamais, Dieu m'en garde! mais sagement et patiemment expectante. Tel n'est pas le po?te.
Il n'a dans l'arsenal de sa rêverie ni parapluie, ni paratonnerre, ni livre qui lui serve d'arbitre, ni fonds de souvenirs classiques vénérés et redoutés qui lui soit un thermomètre. Il s'en va à travers les champs et les bois, ne commandant à aucun être, à aucune chose, attendant, na?f et fièrement désarmé, que les choses et les êtres lui parlent, que l'orage le ploie, que la fleur l'enivre, que le soleil l'embrase, que les flots de la mer l'accablent; et ce qu'il aura vu, ce qu'il aura senti, il vous le dira au retour; mais ne lui demandez pas au départ ce qu'il vous rapportera de sourires ou de larmes, d'enthousiasme ou de désolation. Il ne s'appartient pas. Si son ame est souffrante, il remplira de deuil l'univers qui le force à chanter en mineur ou en majeur, selon l'accord de sa lyre. S'il est heureux pour un moment, la création lui révélera son éternelle beauté, son éternelle sagesse; mais n'exigez pas que demain confirme aujourd'hui, ni qu'aujourd'hui soit la conséquence apparente d'hier.
L'ame du po?te est mobile; si elle renfermait Minerve tout armée, elle ne serait plus inspirée. Elle est faible et changeante à votre point de vue: c'est-à-dire qu'elle est douée d'une force et d'une ténacité dont vous ne pouvez distinguer et définir la source cachée. Il y a en elle un mystère qui échappe à votre analyse et que peut seule vous révéler l'ame qui possède et subit cette fatalité, tant?t délicieuse, tant?t effroyable.
--Est-ce à dire, demanda Théodore, que le po?te soit un souverain absolu, irresponsable? C'est admettre une royauté de droit divin contre laquelle je vous avertis que je me révolte absolument.
--Oh! vous êtes libre de vous révolter, s'écria Julie. La poésie manque absolument de mouchards et de gendarmes pour s'imposer aux récalcitrants; c'est ce qui fait la force de son empire.
Le droit du po?te est toujours inoffensif, puisque chacun peut s'y soustraire. L'usage bon ou mauvais de ce droit est le chatiment ou la récompense de celui qui l'exerce. S'il ne soufflait que fureur et désespoir, il rétrécirait son influence à celle des passions du moment; mais quand il fait rayonner le beau et le vrai, il l'étend à jamais à toutes les ames. Quand la sienne est foncièrement belle et magnanime, ses amertumes passent, Dieu les dissipe, et l'humanité toute entière re?oit le bienfait de son inspiration.
--A la bonne heure! répondit Théodore; l'Apocalypse est une splendide vision, mais elle se compla?t dans trop de chatiments qui font Dieu vindicatif et méchant. Saint Jean en rappela et prêcha l'amour, après eu avoir prêché la colère.
--C'est, lui dit Julie en riant, qu'il avait trouvé sa synthèse. Est-elle moins belle et moins vraie, parce qu'il a prédit la chute des étoiles?
--Je crois, dis-je à mon tour, que nous arrivons à être tous
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